Les editos du père Gregoire Bellut

« Dès maintenant j’ai dans les cieux un témoin »

 

        Avec l’entrée en semaine sainte et l’attente de l’annonce de Pâques, nous voici pèlerins sur un chemin de foi fait de confiance en Dieu dans toutes les réalités de notre quotidien, de persévérance dans la prière pour lui confier les questions de notre cœur et d’audace dans le service de la charité, portée par une espérance invincible. La foi se reçoit, s’annonce, se vit. Les témoins des Rameaux et de la Passion sont appelés dans la réalité pascale à proclamer cette réalisation de la grande espérance du Salut. Dans le Christ, tout est lié à l’amour dans une relation complète du don à travers la gratuité du partage. « C’est lui qui nous a fait passer de l’esclavage à la liberté, des ténèbres à la lumière, de la mort à la vie, de la tyrannie à la royauté éternelle, lui qui a fait de nous un sacerdoce nouveau, un peuple choisi, pour toujours. C’est lui qui est la Pâque de notre salut. »[1].L’annonce du Royaume tout au long de l’évangile prends corps dans la passion et la résurrection, comme un signe efficace d’une parole de vérité. Nous quittons nos esclavages pour retrouver une cohésion de tout notre être à la ressemblance de Dieu.  Nous devons grandir dans cette intériorité de la foi pour porter du fruit et partager avec nos frères cette lumière qui vainc toutes nos ténèbres dans un éclairage de vérité vécu dans l’amour purificateur. Etre disciple du Christ nous demande d’en témoigner et de faire nous aussi des disciples à la suite de notre maître.

 

Néanmoins, il y a bien une conversion du cœur à effectuer, pour refuser d’être le tyran et se rendre disponible dans la royauté éternelle en serviteur fiable. Dans le mystère douloureux, la méditation de la flagellation de Jésus fait écho à notre propre positionnement : suis-je celui qui flagelle, ou celui qui est flagellé ? Et tout notre être peut chanceler dans ce questionnement de fond où se pose la question de la souffrance et de notre propre responsabilité. Or, retrouver l’eau de notre baptême et entrer dans ce peuple de la longue marche vers la vie du Royaume nous poussent à vivre des transformations pour nous laisser modeler par le souffle de l’Esprit. La contemplation de la vie du Christ est une école de vie. « Le Seigneur, étant Dieu, revêtit l’homme, souffrit pour celui qui souffrait, fut enchaîné pour celui qui était captif, fut jugé pour le coupable, fut enseveli pour celui qui était enseveli. »[2] De fait rien de ce qui est humain n’est étranger à Dieu, hormis le péché. A nous d’être acteurs d’une foi qui se reçoit, d’être témoins d’un amour qui se vit, d’être prophètes de la grande espérance du Salut. Nous entendrons l’appel de Dieu comme un chemin de sainteté. La sainteté pour tout chrétien est une prescription baptismale comme le rappel le concile. « Aussi dans l’Église, tous, qu’ils appartiennent à la hiérarchie ou qu’ils soient régis par elle, sont appelés à la sainteté selon la parole de l’apôtre : « oui, ce que Dieu veut c’est votre sanctification »[3] Accueillir le quotidien en entrant par la porte de la semaine sainte, c’est retrouver la vocation de l’homme dans sa vulnérabilité et sa souffrance et s’attacher au Christ, modèle de vie.

 

L’appel à la sainteté n’est donc pas exempt de la condition humaine et de la vulnérabilité de notre être, mais rappelle qu’en toute réalité humaine Dieu est présent. « C’est en face de la mort que l’énigme de la condition humaine atteint son sommet. L’homme n’est pas seulement tourmenté par la souffrance et la déchéance progressive de son corps, mais plus encore, par la peur d’une destruction définitive. »[4] Le débat sur l’euthanasie ou la fallacieuse expression lexicale d’aide à mourir, couvrant une même réalité dans une hypocrite distinction, nous montre la peur de la mort et la volonté de mettre la main sur le dessein de Dieu. C’est choisir une certaine forme d’indépendance dans la folie d’un éloignement du commandement du Dieu le plus important pour notre société, « Tu ne tueras pas », qui se révèle dans la violence mimétique de Caïn sur Abel : « Qu’as-tu fait de ton frère ? » Toute tentative technique de nous éloigner des hasards de la vie et d’un passage déterminé vers la mort est une impasse infernale vers le non-sens, loin de Dieu, là où il y a des grincements de dents. La réalité de la souffrance est aussi une étape vers l’oblation à Dieu de notre vie dans une recherche d’humanité toujours première, notamment à travers la relation et l’accompagnement dans l’obligation morale de prendre soin par une présence aimante. La corrélation entre l’euthanasie et la presque disparition des soins palliatifs dans tous les pays qui ont voté cette loi de la culture de mort, offre un clivage inextricable de la fraternité et fragmente la confiance dans la relation du prochain et, par conséquent, en Dieu. Cette loi du plus fort contre le plus faible fragilise le pacte social et met un terme à plus ou moins longue échéance à la capacité de vivre ensemble. A contrario lorsque la cohésion sociale se vit alors le respect de la dignité humaine et l’impératif de la fraternité en sont le ciment. « Plus la solidarité avec les personnes les plus fragiles progressera, plus notre pays avancera sur un chemin renouvelé de fraternité, de justice, d’espérance et de paix »[5] Sans cesse nous devons l’affirmer avec foi et persévérance.

 

Pourquoi donc passer par la passion pour accueillir la résurrection ? Peut-être pour nous apprendre à accueillir le don de Dieu en toute circonstance et comprendre que la rédemption nous demande un changement de vie et un engagement à vivre en communion de plus en plus forte avec Dieu et, en Eglise, avec nos frères. Cela doit passer par des actes concrets dans les rencontres et les actes de charité. La croissance et la fécondité de nos relations comme fils de Dieu appelés à la ressemblance, ainsi que l’accueil de la promesse de la vie éternelle sont une réalité tangible qui s’exprimera par l’amour que nous aurons les uns pour les autres. À partir de cela nous pourrons entrer dans la joie de Dieu réalisant la promesse de création que nous retrouvons dans les paraboles du Jugement dernier. « ‘Entre dans la joie de ton maître’. Bien que la joie de l’éternelle béatitude entre dans le cœur, le Seigneur a préféré dire : ‘Entre dans la joie de ton maître’, pour faire comprendre mystérieusement que cette joie ne sera pas seulement en lui, mais qu’elle l’enveloppera et l’absorbera de tous côtés, qu’elle le submergera comme un abîme infini. »[6] Que ce temps mystérieux de la Passion et de la résurrection soit l’occasion pour chacun d’entre nous d’expérimenter cet appel à la sainteté dans la pleine communion de la vie en Dieu, et que nous puissions en rayonner par notre vie dans tous les actes que nous posons. « Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? »

 

 Père Grégoire BELLUT -Curé – Doyen

[1] Homélie de Méliton de Sardes sur la Pâque

[2] Homélie de Méliton de Sardes sur la Pâque

[3] &39 Lumen Gentium – Vatican II –1 Th 4, 3 ; cf. Ep 1, 4

[4] &18 Gaudium et Spes – Vatican II

[5] Déclaration de Lourdes du 19 mars 2024 CEF

[6] Saint Bernardin de Sienne

« Braconniers de la foi »

 

L’annonce du kérygme demande la liberté de l’amour par la gratuité du don. La foi s’annonce dans l’audace de la rencontre du Seigneur, mais aussi dans la ferveur de proclamer le Règne de Dieu et la grande espérance du Salut. Dieu est amour, et, par cette vérité, nous entraîne sur un chemin de liberté pour Le choisir pour toujours. La prière est alors au cœur de notre vie en Dieu, et constitue la trame de notre engagement à l’écoute de sa Parole ; mais, pour la même raison, elle débouche inévitablement sur l’impériosité de l’annonce, dans un témoignage sincère de la vie dans l’Esprit et, de l’expérience des dons de Dieu par l’immensité de Son amour pour nous, pour moi, et pour chacune des personnes que je rencontre.

 

L’appel missionnaire pour témoigner du Christ auprès de mon prochain et faire des disciples, demande cependant beaucoup de prudence dans nos intentions. Il faut nous laisser guider par le souffle de l’Esprit et non par d’autres considérations, moins bonnes, et moins encore par des sortes d’instrumentalisations, comme si nous étions, ou devions être, des braconniers de la foi. Assurément, nous ne pouvons pas nous taire : c’est un Christ mort et ressuscité, et qui reviendra au dernier temps, que nous annonçons. Tel est le kérygme. Mais il ne peut pas être question d’évangile de prospérité, de son corolaire, la théologie de la libération ; pas non plus de culte de la personnalité ; pas davantage de nombre d’heures de prière et d’histoire de jeûne rigoureux, trop peu souvent ajusté ; moins encore, enfin  d’une volonté propre ou, peut-être pis encore, d’idéologie : c’est, et ce doit être, la présence de l’Esprit Saint qui m’envoie annoncer le bonheur d’être aimé par Dieu, et de marcher dans la grande espérance du Salut.

 

Le braconnier, lui, ne se soucie ni de l’équilibre de la nature, ni même des réalités du terrain. Il chasse pour ses propres désirs : forme de brigandage de la nature pour assouvir des appétits obscurs. Tels sont dans la foi ceux qui choisissent de pareilles perspectives ; mais ils vivent alors une forme d’incohérence, ou bien se servent de la foi pour assoir leur pouvoir. Le risque de brigandage spirituel existe, et c’est toujours au moyen des mêmes points de vigilance qu’il nous faut tâcher de le dissiper. Faisons appel à du discernement prudentiel pour reconnaitre le mercenaire du bon pasteur ! Comment se vit l’autorité du Christ en moi et en mon frère, (notamment en pourchassant toute forme idolâtrique) ? Quel est mon rapport à l’argent et, surtout, la manière dont je m’en sers (est-ce une fin ou un moyen) ? En ce temps de carême, plus spécifiquement, nous pouvons nous interroger sur notre lien avec la communauté paroissiale et la volonté de faire Église, dans la disponibilité gratuite de notre temps et l’investissement dans la relation fraternelle. Enfin, posons-nous la question de savoir comment nous nourrissons notre foi dans la tradition de l’Église, par la science de Dieu et des Écritures, mais aussi par la participation aux activités qui nous font travailler la vie spirituelle à la lueur de la raison.

 

Cependant, la question première est et reste : pourquoi sommes-nous chrétiens ? Il nous faut inlassablement nous rappeler et rappeler à nos frères, que le Christ nous libère de toute forme d’enfermement, notamment, et avant tout, du premier type d’enfermement qui nous atteint : le péché. Comme le rappelle saint Paul VI « Comme noyau et centre de sa Bonne Nouvelle, le Christ annonce le Salut, ce grand don de Dieu qui est libération de tout ce qui opprime l’homme mais qui est surtout libération du péché et du Malin, dans la joie de connaître Dieu et d’être connu de Lui, de Le voir, d’être livré à Lui. »[1] La vie en Dieu demande de goûter à cette libération comme lieu de cohérence intérieure dans l’obéissance de la foi, et le refus du péché ; mais également d’un bonheur à redécouvrir sans cesse, dans toutes les possibilités nouvelles qui nous tournent vers Dieu, et ce dans un acte de louange et d’action de grâce. Être livrés à l’amour, c’est reconnaître que le souffle vient de Lui et nous sentir non seulement aimés, mais aussi rassurés dans la confiance en Sa Parole de vie. L’engagement est donc bien de connaître Dieu, dans l’apprentissage des Écritures et leur méditation dans notre cœur ; de nous laisser pétrir par la volonté de Dieu pour agir en enfants de lumière, et aussi de recevoir l’Esprit Saint et de l’accueillir dans notre vie comme un courant de grâce d’où jaillissent la vie en abondance, étanchant notre soif.

 

Alors, le zèle missionnaire se fait voir, apparaît et brille dans le témoignage de vie, et notamment par notre implication dans la vie de la cité, œuvrant pour la construction d’un monde meilleur, d’une civilisation de l’amour. Et comme le souligne saint Jean Paul II, c’est en Église, dans la participation active de chacun des baptisés, que nous sommes vraiment crédibles.  « La première forme de témoignage est la vie même du missionnaire, de la famille chrétienne et de la communauté ecclésiale, qui rend visible un nouveau mode de comportement. Le missionnaire qui, malgré toutes ses limites et ses imperfections humaines, vit avec simplicité à l’exemple du Christ est un signe de Dieu et des réalités transcendantes »[2] Or, la recherche de sens dans la vocation de l’homme image de Dieu puise justement dans le témoignage l’annonce explicite d’un renouvellement de notre vie à la lumière du Christ. Nous partageons la vie de Celui qui nous nourrit, nous transforme et nous envoie. Nous rendons visible dans nos engagements la présence du Christ et nous partageons par notre histoire l’appel de tout homme à ressembler à Dieu, dans la volonté de Le suivre sur le chemin de l’amour.

 

La ferveur de la foi, redisons-le, demande un appétit des Écritures, une volonté non seulement de les apprendre, mais également de les connaitre, de les méditer tout au long de nos journées. L’Écriture est source de vie. « Il y a un rapport étroit entre le témoignage de l’Écriture, comme attestation que la Parole de Dieu donne d’elle-même, et le témoignage de vie des croyants. L’un implique l’autre et y conduit. Le témoignage chrétien communique la Parole attestée dans les Écritures »[3] Le témoignage, ainsi donc, est bien d’accueillir la réalité des Écritures dans notre vie ; et l’intervention de Dieu dans l’histoire des hommes est également une rencontre merveilleuse de Dieu dans notre propre histoire, notre propre vie. L’Écriture devient alors chant d’un bonheur en toute occasion, car Il est là, près de moi, comme Il l’a été de tout homme depuis le commencement. Il est mon berger, mon gardien, reste toujours présent à mes côtés et m’aide à continuer de recueillir tout ce qui est vie comme un don de sa grâce.

 

Ainsi, par ce chemin de sainteté à parcourir chaque jour malgré nos faiblesses et nos vulnérabilités et sûr de sa grâce, nous devons fuir les braconniers de la foi qui servent leurs propres intérêts et oublient d’annoncer la salut de Dieu dans la gratuité de sa présence parmi nous. Par le témoignage de notre vie, comme nous le rappelle le Pape François. « Le disciple sait offrir sa vie entière et la jouer jusqu’au martyre comme témoignage de Jésus-Christ ; son rêve n’est pas d’avoir beaucoup d’ennemis, mais plutôt que la Parole soit accueillie et manifeste sa puissance libératrice et rénovatrice. »[4] L’accueil de la Parole se voit, disons-le de nouveau, dans notre manière de nous comporter et de participer à l’œuvre de création : témoignage d’une libération du péché, d’une volonté de participer au royaume des cieux ; témoignage réellement possible et réellement causé, pour peu que nous nous laissions chaque matin renouveler, à l’écoute de la Parole et la laissions nous guider tout au long de notre journée.

 

 Père Grégoire BELLUT -Curé – Doyen

[1] &9 Evangelii Nuntiandi, Paul VI

[2] &42 Redemptoris Missio, Jean-Paul II

[3] &97 Verbum Domini, Benoit XVI

[4] &24 Evangelii Gaudium, François

Un père, en voyant sa femme et sa fille partir pour l’Église, leur dit « C’est la brigade du Christ qui part » rappelant la vieille expression « les chevaliers du Christ » 1 . Il y a bien quelque chose de structurant dans une brigade, comme une corporation d’un même sens pour l’évangélisation, et la volonté de se mettre au service du Christ. Une réalisation de notre vocation prophétique du baptême en fils de roi dans un dialogue par la prière et la vie de l’Esprit. Si le Christ nous renouvelle dans notre vie, alors nous devons en être témoins, telle est l’exhortation pressante de Benoît XVI en parlant de disciple missionnaire. Dans l’appel aux pasteurs, il demande d’ « Aider les fidèles chrétiens à vivre leur foi avec joie et cohérence, à prendre conscience d’être disciples et missionnaires du Christ, envoyés par Lui dans le monde pour annoncer et témoigner de notre foi et de notre amour. » 2 Il nous faut retrouver le désir de Dieu à travers le zèle de la foi pour annoncer la joie du Salut à tous ceux que nous rencontrons, sans restriction de race, de langue ou de nations. La rencontre du Christ irradie toutes les cultures pour dévoiler la vocation de l’homme, image de Dieu, et lui montrer la juste relation au Père dans le dialogue de la prière, la méditation des Écritures, et la volonté de communion. Le signe tangible de notre foi est notre capacité à une fraternité ouverte à tous dans l’amour gratuit le don sincère et la capacité de réconciliation.

Certes, le mot brigade, dans la société actuelle, sous tutelle des abus sexuels et de phénomènes d’emprise, peut paraître suspect. De plus, dans une mentalité antimilitariste, il peut y avoir une forme de rejet de toute autorité comme une aversion pour le combat, même d’un combat nécessaire et dont la source prend son origine dans la royauté du Christ Or c’est bien de cela qu’il s’agit : de l’autorité du Christ dans notre vie, d’une liberté nouvelle à acquérir dans la vérité de nos actes au service de la charité. En brigade, nous partons en disciples joyeux propager la Bonne Nouvelle. Le mot apôtre n’est-il pas en grec le mot d’envoyé, rappelé à la fin de la messe « Allez dans la paix du Christ » pour évangéliser autour de nous ? « L’Église est missionnaire dans son essence. Nous ne pouvons pas garder pour nous-mêmes les paroles de la vie éternelle, qui nous ont été données dans la rencontre avec Jésus Christ : elles sont destinées à tous, à tout homme » 3 Notre première conversion est de prendre conscience de notre peu d’engagement dans la communauté paroissiale et ecclésiale afin de prier l’Esprit Saint pour nous éclairer sur notre manière de témoigner de notre foi. N’ayons pas peur des mots, ni de cette brigade du Christ qui
annonce la Bonne Nouvelle du Salut, à chaque fois que nous déployons la Parole de Dieu par nos mots et par nos gestes, puisant dans la prière, premier préalable à toute action, le dynamisme de l’amour et de la vie de communion avec Dieu.

1 Miles christi -La militia Christi est un des thèmes les plus anciens de la spiritualité chrétienne, déjà présent chez saint Paul, selon la
Vulgate. (L’article « Militia Christi », dans Dictionnaire de Spiritualité, t. 9, Paris, 1980, c. 1210-1223.)- Eph 6, 14-17, 1 Thess 5,8, Rom
13,12
2 Session inaugurale des travaux de l’épiscopat Latino-Américain 13 mai 2007 – Benoit XVI
3 &91 Verbum Domini – Benoit XVI

Un des principaux freins, au sein même de l’Église, est de confondre le prosélytisme et le zèle missionnaire dans la ferveur de vocation baptismale et l’envoi « pentecostal ». Le prosélyte annonce avec une volonté de convertir l’autre par force humaine, et non par grâce de l’Esprit Saint. D’autres fois, s’ajoute l’amalgame d’un relativisme des religions qui nous rend inaptes à l’écoute de l’Esprit Saint pour la mission dans une contextualisation rendant inaudible l’appel à la conversion. « Le message du Christ, aujourd’hui comme hier, ne peut s’adapter à la logique de ce monde, car il est prophétie et libération, il est semence d’une humanité nouvelle qui croît, et, seulement à la fin des temps, trouvera sa pleine réalisation. » 4 La Parole de Dieu appelle à une rupture de vie, une transformation de notre quotidien à l’écoute de l’Esprit. Oui, nous sommes bien appelés à évangéliser, c’est-à-dire à partager l’Évangile de Dieu avec humilité et douceur mais de manière audible et intelligible. La foi s’annonce par nos actes et
nos paroles sans que nous puissions détacher l’un de l’autre. Il y a bien une corrélation entre notre vocation de disciple du Christ et l’envoi en mission. À tel point que le premier travail des nouveaux baptisés est d’annoncer sans peur la Bonne Nouvelle et de faire des disciples. Nous tous, dans la grâce du baptême, pour vivre en vérité notre foi, nous avons à l’annoncer de manière explicite. Si le fait de parler de prosélytisme est le prétexte pour ne pas évangéliser, c’est-à-dire partager explicitement la parole de Dieu, alors notre foi est morte. « Les premiers chrétiens ont considéré l’annonce missionnaire comme une nécessité dérivant de la nature même de la foi : » 5 Nous voici à l’écoute de cet appel vibrant à retrouver cette ardeur première de la foi pour enraciner notre engagement dans la prière en tant que prêtre, la vivre dans l’annonce en tant que prophète, et être libre de l’annoncer à tous en tant que roi, par l’autorité du Christ comme nous le confère le baptême.

La marche du carême nous rappelle les conversions à vivre aujourd’hui pour participer à l’avènement du Royaume. Et dans la croissance de la foi, il nous faut rappeler avec autorité l’importance du témoignage kérygmatique. Le kérygme annonce un Christ mort et ressuscité dont nous attendons le retour dans la gloire. Le témoignage kérygmatique doit être un signe lumineux de l’engagement de chacun dans la foi, et notamment des parrains et marraines lors du baptême. « L’élan missionnaire est un signe clair de la maturité d’une communauté ecclésiale. » 6 Nous ne pouvons pas être dans une forme de tourisme spirituel, ou, pire encore, dans un brigandage idéologique, prenant certaines parties de la Révélation et en refusant d’autres aspects. Or, la première mission de nos communautés est l’appel à la communion que nous pouvons vivre dans la fidélité au Seigneur, en retrouvant la grâce du pardon et la force de la réconciliation. Avant de parler de justice, soyons au service de l’amour et de la communion pour trouver
ensuite la juste relation dans les rapports fraternels. Cette réconciliation se vit dans un déploiement de la prière, et ce temps du désert comme lieu de croissance en présence du Seigneur, un lieu de fermentation pour mourir à soi-même et germer dans l’amour du Seigneur. Il se continue dans l’annonce de cette joie de croire au Christ notre Sauveur. Car c’est bien un espace de liberté que je trouve dans cette rencontre avec Dieu notre Père dans le souffle de l’Esprit, par la Parole de rupture et de transformation.

4 Discours du pape Benoit XVI aux œuvres pontificales missionnaires 11 mai 2012
5 &92 Verbum Domini, op. cit.
6 &95 Verbum Domini, op. cit.

Le chemin de sainteté consiste également à partager notre vocation baptismale dans l’annonce de la croix et de la résurrection. Il n’y a pas de place réservée, et nous avons tous à porter la mission dans le prolongement de notre foi. « L’Église, comme mystère de communion, est donc tout entière missionnaire et chacun, selon son état de vie, est appelé à donner une contribution décidée à l’annonce chrétienne. » 7 Notre marche vers Pâques est bien d’annoncer notre foi avec des mots, et pas seulement avec des gestes, mais aussi de la vivre en communion dans une solidarité vraie, et une bienveillance de chacun avec la grâce de l’Esprit Saint. L’annonce se vit à travers notre capacité de nous rassembler au
nom du Christ et de vivre des moments d’Église dans la gratuité de notre présence et la recherche de notre juste place devant Dieu. « La vie commune en société détermine souvent la qualité de la vie et, par conséquent, les conditions où chaque homme et chaque femme se comprennent et décident d’eux-mêmes et de leur vocation. » 8 L’appel du désert est de se retrouver dans son propre moi, à l’écoute de
la Parole pour accueillir le souffle de l’Esprit et répondre « Oui » à sa présence, afin qu’il nous soit fait selon la volonté de Dieu, dans ce bonheur de communion. « Heureux … ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui la gardent ! » 9

Père Gregoire BELLUT -Curé – Doyen

Dans une étude de Jean-Marie GUEULLETTE sur la nature de la spiritualité actuelle, on comprend que toutes les écoles ésotériques qui se réclament d’une pseudo tradition orientale, sont en fait un montage de traditions apportées aux mœurs du continent américain et n’ont rien de millénaire ou d’exotique. C’est juste une recherche d’affranchissement des structures, et, au détour d’une réflexion, l’auteur nous indique que « les américains chrétiens ne semblent pas intéressés par la vie éternelle, mais
beaucoup plus par la quête du bien-être matériel et personnel » 1 En lisant cette réflexion sur le tohu-bohu du marché spirituel, j’ai bien compris que nous pouvions nous-même être tentés dans nos communautés catholiques, et nos groupes de prière, de ne pas mettre la promesse de la grande espérance du Salut au centre de nos actions. Or, la foi se vit dans la confiance en la promesse du Royaume, l’amour est configuré à l’avènement d’un monde meilleur où nous serons avec Dieu pour l’éternité, et, dans le service de la charité auprès de nos frères, nous vivons par anticipation le règne de Dieu. Notre première conversion devrait donc être sans doute de nous remettre sur la grande espérance du Salut.

La vie éternelle s’obtient par la conversion des cœurs et la volonté d’avancer en confiance à l’écoute de la Parole de Dieu. Le chemin de carême n’est pas une fin en soi, mais un changement à vivre pour nous rendre aptes à accueillir Pâques. Or, nous pouvons observer autour de nous des refus d’accueillir Dieu et sa Parole d’alliance et vouloir même aller dans des chemins d’illusions pour finalement asseoir une tyrannie : « Parmi les raisons de refuser un Dieu personnel, revient souvent le refus de l’imagerie masculine de Dieu, toujours associée à des idées de pouvoir absolu et de jugement et donc à toutes les dérives de l’autorité et de l’abus. Le remplacer par une image féminine de Dieu permet de mettre en valeur son amour inconditionnel, sans toujours mesurer qu’une telle approche n’est pas exempte de dérives tout aussi dangereuses, du coté de l’emprise et de la perte de liberté du sujet. S’en rapproche le refus d’un dieu qui intervient

1 P. 195 La spiritualité est américaine – Jean Marie Gueullette Cerf 2021

dans le monde ou dans nos vies, ou qui juge nos actions, ce qui est considéré comme une représentation immature. Être sorti de ces représentations est vécue par beaucoup comme une libération » 2 La tentative de refuser la paternité de Dieu, ainsi que l’invitation à l’altérité comme action de liberté à accomplir, nous enseigne à vivre autrement les choses. Le problème d’autorité, souvent lié à un orgueil de plus en plus démesuré dans la recherche individualiste, demande dans la marche vers Pâques une remise en cause personnelle, et la volonté de communion fraternelle pour rayonner des réalités du Ciel par grâce de l’Esprit. Mais la tentation de refuser que Dieu puisse intervenir dans notre vie, sous prétexte de liberté mal comprise, ou de refuser le « dieu magique », n’aide pas à une compréhension juste de l’action de l’Esprit Saint, comme d’autre, dans une forme de fondamentalisme de la grâce attendent tout de Dieu et ne prennent pas leurs responsabilités chacun selon sa propre force.. L’immaturité est alors le mot par excellence pour signifier sa propre incapacité de réguler la situation, et de trouver les bons mots dans un juste rapport à Dieu et aux frères. Mais avoir un Dieu à sa botte, dans une instrumentalisation outrancière de la Parole, est aussi une forme d’emprisonnement et de rigidité idéologique. En fait la compréhension des Écritures, à défaut d’être originale amène à sortir des carcans despotiques (certes modernes et très contextualisés mais mortifères) pour retrouver une liberté d’être et d’agir, promis dans la vie de l’Esprit.

Pour cheminer vers un carême fructueux, peut-être pourrions-nous reprendre la notion d’effort chrétien comme celle d’une prise de conscience de ce que nous avons à transformer dans notre vie pour continuer d’être disciples du Christ. Il nous faudrait reprendre les points de réconciliation 3 .

1 Avoir le sens du péché, et prendre conscience de notre faute, cela demande de prier l’Esprit Saint pour qu’Il nous éclaire, et nous fasse voir ce qui est tordu en nous.

2 Vivre la tentation comme une épreuve de purification, pour nous faire grandir dans la fidélité au Seigneur en toute occasion, dans l’humilité et la vertu de prudence.
3 Vivre le jeûne, c’est-à-dire s’abstenir d’aliment par esprit de pénitence, et d’union au Christ crucifié, et dans un esprit de solidarité avec les plus démunis.

2 P. 155 op. cit.
3 &21 Reconciliatio Penitentiae – Jean Paul II

4 Être vigilant à vivre l’aumône : l’argent épargné par notre pénitence ne doit pas être dépensé pour autre chose qu’aider, c’est-à-dire être au service de la charité.
5 Retrouver cette communion avec Dieu et avec nos frères en toute circonstance, et travailler ce lien de réconciliation pour vivre l’amour jusqu’au bout.
6 Revisiter « les quatre réconciliations qui réparent les quatre ruptures fondamentales: réconciliation de l’homme avec Dieu, avec lui-même, avec ses frères, avec toute la création. »
7 Méditer finalement sur « les quatre fins dernières de l’homme » :
la mort, le jugement (particulier et universel), l’enfer et le paradis »

Chaque point est un lieu d’évangélisation pour nous, et d’écoute à ce que nous avons à mobiliser pour nous rendre disponibles au souffle de l’Esprit. L’appel du désert est justement la méditation de la Parole, et, dans la prière, une plus grande disponibilité à l’œuvre de Dieu dans notre vie. Reste à chacun de se servir des points de vigilances énoncés pour entrer dans l’intelligence de la foi et faire la vérité dans sa vie. Alors nous pourrons faire nôtre la prière du psalmiste dans ce chemin de conversion  : « Rends- moi la joie d’être sauvé ».

Père Gregoire BELLUT -Curé – Doyen

 

Puisque nous en sommes aux bons mots latins, peut être pourrions-nous aborder le Sensus Fidei que l’on traduit par le « bon sens des fidèles » 1 . La commission théologique internationale a produit en 2014 un document rappelant « que les fidèles ont un instinct pour la vérité de l’Evangile, qui leur permet de reconnaître quelles sont la doctrine et la pratique chrétiennes authentiques et d’y adhérer. Cet instinct surnaturel… est appelé le sensus fidei » 2 Un instinct que tout image de Dieu est appelé à comprendre par le cœur la vérité de la Parole, et de la faire sienne, et d’y reconnaitre naturellement, dans un discernement de sagesse, ce qui est conforme à la volonté du Seigneur. C’est là la traduction de l’onction prophétique du baptême qui rappelle ce qui forme sens et pousse à la communion fraternelle dans la même recherche de la Révélation et l’attention particulière à la grande espérance du Salut : un discernement baptismal dans la rencontre personnelle avec le Christ, et la recherche de communion fraternelle. Une sagesse venue de l’Esprit Saint pour discerner avec justesse ce qui nourrit la foi, et éclaire nos pas dans l’intelligence des Écritures.

La difficulté de traduire le latin vient d’une compréhension sur deux définitions : « D’une part, le sensus fidei fait référence à l’aptitude personnelle qu’a le croyant, au sein de la communion de l’Église, de discerner la vérité de la foi. D’autre part, le sensus fidei fait référence à une réalité communautaire et ecclésiale : l’instinct de la foi de l’Église elle-même, par lequel elle reconnaît son Seigneur et proclame Sa Parole. » 3 Il y a donc une recherche personnelle de la rencontre avec son Seigneur et son Dieu, et la réalité de la communauté, dans les signes qu’elle traduit, pour comprendre la volonté du Seigneur. L’une et l’autre sont l’expression d’un même don de l’Esprit Saint. Il nous faut rappeler que chaque baptisé accomplit sa mission de disciple, dans l’accueil de l’Esprit Saint, et le discernement à vivre dans la réalité du quotidien. Il peut y avoir des tensions entre l’enseignement du Magistère et la perception du Peuple de Dieu, néanmoins l’Esprit Saint souffle dans une même direction ; c’est pourquoi nous devons rechercher, dans la communion, l’espace de la rencontre dans la vérité de l’amour. Et le premier critère est d’entrer dans l’intelligence des Écritures sans les instrumentaliser. La prière commune, et un dialogue sincère et bienveillant, permettront d’avancer dans une compréhension commune qui garde sauve la foi véritable, pour mieux entrer dans cette révélation de l’amour et accueillir la promesse du Salut.

1 « le terme de sensus fidei fidelis pour faire référence à l’aptitude personnelle du croyant à
effectuer un juste discernement en matière de foi, et celui de sensus fidei fidelium pour faire
référence à l’instinct de la foi de l’Église elle-même. »&3 Sensus Fidei
2 &2 Sensus Fidei 2014
3 &3 Sensus Fidei 2014

Encore nous faut-il rappeler que nous sommes guidés par la présence du Christ dans notre vie et que la foi est cette confiance en la volonté de Dieu pour être fidèle, et le reconnaitre comme notre Sauveur. À l’image de Dieu, nous voici invités à la louange de notre Créateur pour tous ses bienfaits dans la liberté de l’amour, et à un oui sans cesse répété pour la vie d’éternité. Certes, nous avons à vivre des conversions et, dans l’humilité de notre être, à avancer avec audace dans la vérité de la Parole. C’est vrai, il nous faut aussi nous engager dans une prière fervente et approfondir notre relation à Dieu à travers l’adoration. Nous reconnaitrons alors les pas du Ressuscité qui marche à coté de nous, et qui dans chaque assemblée de prière est au milieu de nous. « On n’évaluera jamais comme il le faudrait l’importance de ce dialogue intime de l’homme avec lui-même. Mais, en réalité, il s’agit du dialogue de l’homme avec Dieu, auteur de la Loi, modèle premier et fin ultime de l’homme. » 4 Une expérience de Dieu où nous confessons notre amour pour Lui, et demandons à l’Esprit Saint de continuer de nous embraser de Sa grâce pour conformer notre intelligence au dessein de Dieu. Ainsi nous pourrons nous mettre au service des uns et des autres, pour une fraternité à renouveler sans cesse dans l’amour de Dieu et la réalité du prochain.

Le sensus fidei, c’est donc ce chemin de croissance du fils d’Adam, où il prend conscience, dans un jugement pratique, d’une découverte de la vérité de l’amour de Dieu, et c’est, par voie de conséquence, la relation intime de ce fils d’Adam avec son Créateur, où la raison critique se vit à l’aune d’une parole qui s’est fait un chemin d’amour et donne la conviction d’un discernement pour la recherche du meilleur bien. « L’homme doit chercher la vérité et juger selon cette vérité. Comme le dit l’Apôtre Paul, la conscience doit être éclairée par l’Esprit Saint 5 ; elle doit être « pure » 6 ; elle ne doit pas falsifier avec astuce la parole de Dieu, mais manifester clairement la vérité 7 . » 8 La reconnaissance de la foi se vit dans une expérience pratique de la Parole de Dieu, et de la communion en Église, pour discerner ce que l’Esprit Saint nous appelle à vivre. Alors nous pourrons saisir que la dimension personnelle de la rencontre avec le Christ pousse à vivre une communion ecclésiale, et demander ainsi de discerner le même esprit dans une recherche du meilleur bien par un dialogue bienveillant. Il suffit de se laisser guider par l’Esprit Saint avec une volonté d’avancer ensemble.

4 &58 Veritatis Splendor – JP II
5 cf. Rm. 9, 1
6 2 Tm. 1, 3

Père Gregoire BELLUT -Curé – Doyen

(partie 2)

Le refus du dialogue avec l’autre est une forme de violence poignante, comme pour certaines lois sociales : pensons au délit d’entrave au sujet de l’avortement. Un refus de remise en question qui ne peut qu’interroger et paradoxalement entrainer un durcissement des positionnements ainsi qu’un clivage sur le pacte social en fracturant au passage la recherche d’un consensus. La civilisation de l’amour n’est pas dans l’à-peu-près, mais demande, à la lecture de la Parole de Dieu, de cultiver la vie et de témoigner de la grâce de l’Esprit dans les dons que Dieu nous donne pour la fécondité. Il n’y a pas de compromission avec le péché, mais la volonté de progresser dans la fidélité au Seigneur, chacun selon son rythme, avec persévérance et patience, avec un regard bienveillant qui aide à grandir.

Nous retrouvons ici un vieux mécanisme de domination, une sorte de compétition à vouloir garder sa place dans une relation qui n’est plus juste parce qu’elle n’accueille plus l’altérité. Il se gouverne dans la confrontation injuste et un refus d’égalité pour avoir toujours plus. Rappelons-le sans cesse, la place du plus vulnérable dans notre société, et de son respect, dit aussi notre humanité. En effet, le péché, à travers la violence, marque la proportion à vivre sans la réalité du frère et à refuser toute conversion principalement par avarice et cupidité. Or nous avons à rendre compte de la vérité dans les choix posés par amour et prendre conscience de soi à travers la générosité de nos actes et l’abandon à la divine volonté. « Il s’agit d’accéder toujours davantage à l’acte d’être une personne qui en est l’origine créatrice et qui se dépasse, se transcende dans l’action et la passion de son acte » 1 La Parole de Dieu et la relation fraternelle nous reconfigure dans la vocation d’image de Dieu appelé à participer à l’œuvre de Création. Lorsque nous transmettons l’amour de Dieu à nos frères et sœurs, nous laissons l’Esprit passer dans nos actes, et nous témoignons de cette passion de l’Evangile par nos vies.

Hélas, le péché à abimé notre capacité à vouloir en toute chose le bien, mais par notre baptême nous avons retrouvé le salut. L’humanité blessée attend son Rédempteur. L’amour est lieu de communion dans le don sincère de soi-même en vue d’une réalisation en Dieu notre Sauveur. Ainsi la faille de notre humanité est transformée par le Christ dans la Nouvelle Alliance, et son premier commandement, « tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta
force […] et ton prochain comme toi-même » 2 L’amour transforme notre vie en action de grâce envers Dieu notre Créateur et se vit dans la relation fraternelle comme signe manifeste de sa présence dans nos vies. Néanmoins, la vulnérabilité de l’homme suite au péché originel et dans sa conséquence immédiate d’une condition mortelle forme le refus de l’autre, et jette une lumière crue sur la capacité de nos actes à nuire. La mort signifie la précarité et déclenche l’envie insatiable de l’expérience de toute puissance menant inéluctablement à la futilité du moment. « Le péché est tapi à ta porte, c’est-à-dire au seuil de ta vie, là où sont tes limites, à ta naissance et à ta mort […]. L’interprétation rabbinique ajoute : […] la porte au seuil de laquelle le péché est tapi est aussi celle de la maison de l’étude de la Loi. » 3 Or la joie de la Loi dans la grâce est d’approcher de Dieu avec sérénité et confiance. Néanmoins le péché est défiance et il est un impossible à obtenir. Deux pôles, l’un pour l’éternité et la communion d’amour par une vie de grâce, l’autre pour l’enfermement et l’impossible de la relation à travers son expression la plus brutale, celle de la violence. Caïn entend la voix de Dieu et il est amené à errer, mais aussi à prendre conscience de ses actes, et à retrouver la juste distance avec Dieu dans la relation fraternelle, une marque le protégeant de sa propre violence et de la violence des autres instaure une frontière
d’être soi devant eux.

1 P 30, Personne et acte.
2 Mt 22,34.39

L’histoire de tout homme est d’abord à comprendre à travers les actes posés, et le contexte pour en saisir toute la portée. A travers l’éclairage des Saintes Ecritures, il nous faut discerner avec prudence et sans instrumentalisation la volonté de Dieu. Toutefois, si Hérode consulte bien les Écritures, et les sages, pour qu’ils lui disent  où va naitre le Messie, c’est dans une perversion spirituelle de détournement du bien, une volonté de crime avec rage, poussant à l’infamie de tuer tout enfant jusqu’à deux ans. Car, à partir de cet âge, l’enfant interagit avec ce qui l’entoure, commence à parler et à marcher, et prend sa place à travers la manifestation claire de sa volonté. Le refus de l’accueil de l’autre par Hérode, et la disproportion de son aveuglement dans une violence extrême et sordide, montrent le désaxement de toute une vie, et la politique du pire qui en découle. Un refus d’interaction avec le frère est un péché grave semant une culture de mort dans la béance de l’être. Refuser la volonté de Dieu conduit à refuser la volonté du frère, pour instaurer sa propre tyrannie. L’absence de curseur dans le relativisme, comme la contextualisation dévoyant le sens premier de la Parole de Dieu devient un péché contre l’Esprit Saint. L’expression de la
volonté du frère est un appel de l’Esprit Saint à vivre la communion à travers les possibles conversions.

La liberté se déconstruit dans le mal, et devient aliénation dans un bouillon de désirs contradictoires et de pulsions incontrôlées, pimentés d’un présent plus ou moins fantasmé. Une addiction dans la nuisance qui ne cherche plus la lumière de Dieu, mais ses propres intérêts. Le refus de l’accueil de l’autre comme frère opère une violence, comme le refus d’un dialogue pousse à l’exil. La violence aux périphéries de Jérusalem qu’est Bethleem, rappelle l’injustice des relations dans l’hypocrisie d’un meilleur bien qui a une portée individualiste, sans veiller au bien commun.

3 P 203 Théologie des droits de l’homme – J.F. COLLANGE

L’expression d’une volonté qui se veut bienveillante d’ouverture pour tous, sans en assurer l’exigence d’une progression commune vers la recherche d’un bonheur à partager pour chacun dans la réalité des moyens. On peut alors parler de naufrage dans la relation, par l’instrumentalisation des situations, et une forme d’inconscience, pétrie d’idéologie, à refuser de voir la réalité. Il y a bien une question de vérité de nos actes dans l’amour que nous voulons partager. Rien ne sert d’être dans le sentimentalisme ou la démission de la norme morale pour maintenir la relation : il y a bien un moment où nous devons prendre acte de nos différences et parfois de notre incapacité à la conciliation. L’appel de Jean-Baptiste à la conversion, à la suite de tous les prophètes, provoque chez beaucoup une prise de conscience de sa vie face aux commandements du Seigneur. C’est toujours actuel d’ailleurs, la Parole de Dieu et la vie dans l’Esprit Saint nous invite à la conversion du cœur. Hélas, Hérode refuse d’entendre raison, et agit au nom de son Royaume pour son propre pouvoir, dans l’inconséquence de ses actes et la tyrannie de ses désirs. Une mascarade de la lecture des Écritures, pour mieux orienter sa soif de pouvoir et d’idolâtrie allant  jusqu’à vouloir tous les tuer, afin de préserver son seul siège.

La recherche idolâtrique d’être « comme des dieux » entraine une violence insaisissable comme l’analyse le philosophe : « La violence souveraine erre parmi les hommes mais personne ne parvient à mettre durablement la main sur elle. Toujours prêt, en apparence, à se prostituer aux uns et aux autres, le dieu finit toujours par se dérober, semant les ruines derrières lui. Tous ceux qui veulent le posséder finissent par s’entre-tuer » 4 L’appel de Noël est aussi de nous ramener à la réalité de nos
désirs humains, qui doivent être évangélisés. Dans la dépossession d’un logement fiable, la Sainte Famille, comme les bergers errent pour trouver la richesse de la vie, de l’être même de Dieu, du Christ Sauveur. Ceux qui se prostituent à l’avoir ancrés dans leurs certitudes se sclérosent dans une forme d’hypocrisie souvent inhumaine. La mort des saints innocents rappelle l’absurdité du mal, et la capacité pour l’homme de refuser l’alliance avec Dieu. Nous sommes tous des Hérodes en puissance, lorsque nous refusons l’action de Dieu dans notre vie, ou que nous ne voulons pas nous
convertir au nom d’autres intérêts ; autrement dit, lorsque nous affirmons, consciemment ou inconsciemment, que nous avons absolument raison, et que les autres doivent ratifier nos positions hasardeuses ou nos choix discutables au nom d’une liberté mal éduquée.

La réalité du mal, et de son auteur, Satan, ne nous déresponsabilise pas de nos propres actions, et demande à chacun d’entre nous une vigilance de tous les instants. Ainsi avons-nous la Parole de Dieu. Elle éclaire notre chemin d’humanité au moyen du rayonnement d’un amour éternel et d’un appel à la communion avec Lui. La prière est chemin de dialogue afin de nous faire progresser dans la connaissance avec Dieu dans la fidélité à sa Parole. La vie sacramentelle et le
service de la charité sont autant d’outils pour nous faire progresser dans la vérité de l’amour. Grandir en sa présence, c’est aimer dans la gratuité du don jusqu’à l’oblation de tout son être, pour se conformer à la croix du Christ et vivre dans l’Incarnation la Résurrection.

4 P 470 De la violence à la divinité – op cite

Père Gregoire BELLUT -Curé – Doyen

L’avènement du Christ est la fidélité de la Parole de Dieu dans la promesse prophétique de l’amour qui se réalise. Le temps de l’attente est bien celui de la préparation des cœurs à la joie de la rencontre. Dans un regard de bienveillance (et je sais que je répète souvent cette expression de ‘regard bienveillant’, mais ô combien nous 0en manquons !), il nous faut vivre cette réconciliation de la nature de l’homme avec Dieu par le Fils Unique qui vient nous sauver. Car à Noël, nous fêtons déjà par anticipation l’annonce du Salut et la joie du Royaume dans une liberté retrouvée ici et maintenant.

L’incarnation du Christ est une liberté de l’amour de Dieu, un prolongement de l’alliance dans la fidélité à la promesse du Salut, par un choix ouvert d’aller jusqu’au bout pour permettre à l’homme de retrouver cette communion originelle avec le Créateur. L’attente du temps liturgique de l’Avent est l’occasion pour nous de retrouver le souffle premier du don, afin de préparer nos cœurs à accueillir le Messie. Tout notre être, corps et âme, est appelé au Salut par l’Incarnation du Christ, et la Rédemption en découle, dans l’accueil d’une Parole de salut. Noël prépare Pâques, et nous enjoint à suivre le Christ tout au long de son humanité dans l’exemplarité de sa vie. Imiter le Christ, c’est le suivre en donnant tout dans la réalité de notre quotidien, et dans la compréhension de l’amour dans notre histoire. « Par l’Incarnation, Dieu a donné à la vie humaine la dimension qu’Il voulait donner à l’homme dès son premier instant, et Il l’a donnée d’une manière définitive, de la façon dont Lui seul est capable, selon Son amour éternel et Sa miséricorde, avec toute la liberté divine » 1 L’amour de Dieu se révèle pleinement en chacun de nous, et se poursuit tout au long de notre existence, par nos propres disponibilités à l’entendre parler dans notre cœur : une liberté intérieure de se laisser mener par Dieu, et d’accueillir sa volonté comme le fruit de la grâce. Lui seul est capable de nous faire aimer davantage, et de nous rendre cette cohérence intérieure d’image de Dieu appelée à la communion avec Lui. Toute notre histoire est d’abord un cri d’amour de Dieu auquel l’homme est censé répondre par la disponibilité de sa présence, et la libre acceptation d’être tout à Lui. L’Incarnation est là pour nous rappeler cette volonté de Dieu de tout faire pour que nous puissions goûter de son amour et vivre avec lui dans la gratuité de l’amour qui est oblation.

1 &1 Redemptor Hominis – Jean Paul II

Notre corps participe à cette manifestation de la joie de Dieu, et la préparation chaque année de la venue du Christ nous rappelle avec insistance l’impérieuse nécessité d’être tournés vers lui, dans tous les actes de notre vie. Certes, certains actes ont une portée peu engageante, mais d’autres sont des réalités radicales et orientent alors la décision dans une autre dimension. Ramasser un paquet vide sur la route est un petit geste civique, mais ce même geste sur une voie rapide peut permettre de sauver des vies en évitant de graves accidents : de petits gestes qui semblent anodins et peuvent parfois radicalement changer les choses. Beaucoup d’histoires sont de cet ordre-là : une phrase d’encouragement qui a empêché un passage à l’acte suicidaire, un regard bienveillant et une main aidante pour traverser la vie avec bienveillance et grandir dans une maturité humaine. Être là pour l’autre, dans cette fraternité sans cesse à renouveler, nous recentre vers cette venue salvatrice du Christ ; Il est là pour toute l’humanité, celle d’hier, celle d’aujourd’hui, celle de demain. La promesse de Dieu dans l’alliance avec l’homme se fait don par le Fils et se poursuit aujourd’hui dans la vie de l’Esprit Saint. « La réalité du don et de l’acte de donner esquissés dans les premiers chapitres de la Genèse comme contenu constitutif du mystère de la création confirme que le rayonnement de l’amour est partie intégrante de ce même mystère. Seul l’Amour crée le bien et lui seul peut, en définitive, être perçu dans toutes ses dimensions et sous tous ses
contours dans les choses créées et surtout dans l’homme » 2 Or, rien n’est superflu dans le don, et le corps, partie intégrante de notre humanité, est voué à rendre gloire à Dieu. La liberté à retrouver, c’est bien cette cohérence de toute notre existence dans la réalité de ce monde ; celle qui est portée par les réalités du monde à venir, lui qui pousse nos désirs à la communion et fait le tri avec l’immédiateté, forme d’hébétude du superflu, pour retrouver ce qui fait sens. Nous n’avons pas à nier notre corps, ou à le mépriser dans ses réalités. Au contraire, l’incarnation du Christ nous rappelle qu’il nous faut être vigilants à ce qui sort de notre bouche, et à toujours avoir une parole de louange et de réconfort pour manifester la présence du Seigneur.

Nous ne pouvons pas comprendre la liberté sans cette contingence de l’âme et du corps, et de l’intégrité humaine dans toutes ses composantes. L’incarnation du Christ nous rappelle que l’homme a été non seulement créé à l’image de Dieu, mais par le Fils est Dieu. La dimension sacrée du corps a toute sa force dans l’appel à la sainteté de tout notre être. Corps et âme, nous sommes invités à suivre le Christ, et à retrouver ce désir premier d’être tout en Dieu, et fuir tout ce qui nous en éloigne. Nous devons être vigilants par un discernement prudentiel, en effet il nous faut témoigner de cette joie de Dieu dans la réalité de notre quotidien, et conformer notre vie à sa volonté. « En effet, le Seigneur Jésus, précisément dans le mystère de l’Incarnation, naissant d’une femme comme homme parfait 3 , s’est mis en relation directe non seulement avec les attentes présentes dans l’Ancien Testament, mais aussi avec celles que nourrissent tous les peuples. De cette façon, il a montré que Dieu entend nous rejoindre dans notre contexte de vie. » 4 Vivre notre baptême, c’est suivre le Christ, et découvrir les signes de sa présence dans notre histoire : un chemin de conversion pour marcher en vérité selon sa Parole et proclamer notre foi par nos œuvres, tout en prolongeant ce dialogue d’amour dans la prière et la méditation des Écritures. La liberté dans nos actes est alors de faire grandir le Christ en nous, et en témoigner autour de nous ; c’est là le meilleur développement de toute dignité humaine dans sa vocation propre de fils de lumière, et le respect profond de la vie donné par Dieu et reçu comme une merveilleuse oblation pour
l’éternité.

&TDC 15-5 Jean Paul II

Père Gregoire BELLUT -Curé – Doyen

 

(2 ème partie)

La troisième violence est le refus de la relation à l’autre. Une perte de communion, en ne se reconnaissant pas fils du Père, et, en même temps, en refusant la fraternité, dans ce clivage du péché qui nous rend ennemis bien que pourtant également aimés de Dieu. Point de route commune, mais l’expression d’une opposition systématique à toute rencontre. Caïn rejetant son frère Abel par jalousie, et par envie, dans une même expression de la haine de l’autre face à moi, et de ce sentiment de perte. La relation est sujette à tension, dans une impossible communion. Lorsque le refus d’être ensemble se dévoile alors, un sentiment de culpabilité devient comme un monstre tapi à la porte et prêt à exploser.

La société des écrans et l’incapacité de rencontre 2 entre générations montrent cet écart de la relation et l’explosion des modes de communication dans un monde binaire et arbitraire, source d’angoisse et d’incapacité d’expression libre d’une volonté d’aller plus loin dans le temps : d’un simple clic on passe à l’exclusion 3 . Or, lutter contre cette forme de violence dans la volonté de poursuivre le dialogue, c’est s’ouvrir à la charité pour la mettre en pratique. La foi nous pousse à générer la communion entre nous, à être artisan de paix afin de rendre témoignage des fruits de l’Esprit, et vivre d’amour pour imiter le Christ en toute chose. « Les œuvres d’amour envers le prochain sont la manifestation extérieure la plus parfaite de la grâce intérieure de l’Esprit : « L’élément principal de la loi nouvelle c’est la grâce de l’Esprit Saint, grâce qui s’exprime dans la foi agissant par la charité ». 4 Par là il affirme que, quant à l’agir extérieur, la miséricorde est la plus grande de toutes les vertus » 5 Le témoignage de vie n’est pas quand tout va bien, mais elle est en toute circonstance qu’il faut vivre la miséricorde et avoir cette relation prophétique à la Parole pour proclamer notre attachement au Christ.

1 Gn 3
2 On pourrait aussi écrire et dire que la société des écrans est l’incapacité des rencontres…
3 D’un simple clic on créé une violence sourde mais parfois sismique…. Et les retombées ne sont pas toujours évaluées avec justesse et
discernement.
4 S. Th. I-II, q. 108, a. 1.
5 &37 Evangelium Gaudium François

Lutter contre la violence est d’abord accueillir l’autre dans toutes ses réalités. Et, en tout cas, être dans la non-malfaisance, c’est-à-dire dans la relation au prochain en recherchant ce qui peut faire grandir. La bonne direction est d’affermir notre démarche de fraternité dans les pauvretés qui sont siennes, qui sont nôtres.

La quatrième violence est le refus de la relation spirituelle dans ce qui fait notre existence. Une perte de soi dans une fragmentation des désirs, et le jaillissement de pulsions. En quelque sorte, se priver de la grâce de Dieu, gisant dans la vallée de la peur et de l’angoisse, parce que l’homme veut se débrouiller seul, et être sa propre norme suivant les pulsions du moment pour rester moderne. Une imposture des charismes dans l’instrumentalisation de l’Esprit Saint pour son propre pouvoir, et le fourvoiement d’une obéissance révélant finalement l’emprise de l’abus. Jusqu’à ne pas vouloir que Dieu agisse dans sa vie, et dans la vie des autres, révélant ainsi la faille béante du refus de l’Esprit Saint.

Or, le repos se trouve en Dieu, et la lumière intérieure nous donne la joie d’une réintégration de tout notre être dans l’harmonie avec Dieu. « Revenez à Dieu de tout votre cœur, laissez là ce misérable monde, et votre âme trouvera le repos. Apprenez à mépriser les choses extérieures et à vous donner aux intérieures, et vous verrez le royaume de Dieu venir en vous » 6 L’expérience de la profondeur en l’intime de Dieu nous pousse à la contemplation et à cette expérience vivifiante de cheminer vers le salut. Le repos ne se vit pas dans une guerre à nous-même, refusant l’invasion étrangère, mais en reconnaissant qu’au plus intime de nous-même, Dieu est le premier hôte, celui qui nous a créés et qui nous appelle à l’existence de communion avec Lui, pour toujours. Ne pas vouloir être l’égal de Dieu
demande une notion d’équité avec nos frères pour être à sa juste place, et dans une relation d’amour dans la vérité de nos actes. Sans cesse il nous faut travailler à nous laisser guider par l’Esprit de Dieu.

De ces quatre points de violence, il nous faut surtout souligner le manque de liberté opéré par le péché. Certes, la désobéissance à la Parole, comme manque de confiance en Dieu, instaure une relation faussée, mais elle entraîne la violence. En effet la disqualification de la place de Dieu dans notre vie et dans notre monde enchaîne les relations de la cité dans un rapport de force insoutenable. Plus qu’un enchaînement, il y a une forme de tyrannie dans une position normative d’une morale contextuelle. « La Parole du Christ nous délivre, car elle nous fait mesurer ce qui est absolu, sans discussion et sans concurrence, et ce qui est relatif. Elle nous aide à comprendre que pour vivre vraiment dans le Christ, il faut que nous vivions Du Christ. » 1 Retrouver sa liberté, c’est vivre dans la paix de l’Esprit et accueillir la joie de la rencontre dans une attention à Dieu, à soi et au monde. Un travail de pacification doit toujours être proposé pour vivre une bonne communication dans un dialogue sincère, et la recherche de communion pour avancer en disciple à l’exemple du seul Maitre, Jésus, le Christ, Notre Seigneur.

6 LII, 1,1 Imitation de JC

Père Gregoire BELLUT -Curé – Doyen

(1ere partie)

Une liberté vécue dans l’orgueil entraîne la lèpre du péché, et comme signe la violence de la séparation. Ainsi nous est donc partagée l’expérience du péché originel. Adam et Eve n’ont pas eu confiance en la Parole de vie, ils ont désobéi à la relation de communion et ont voulu être comme des dieux, indépendants et centrés sur leurs propres regards. Et dans la réalité de leur vulnérabilité, ils s’effraient de leur faiblesse face à leur Créateur ! La violence est bien l’expression d’une réalité non préparée, écrasée par le poids de leurs vulnérabilités, qui dans le péché s’avère être une grave faiblesse.. Alors que la foi est confiance en l’œuvre de Dieu et accueil de son amour, le péché est défiance envers Dieu et clivage de l’œuvre de la création pour s’en aliéner une partie. Cela nous rend sourds face au besoin de ce monde, et de la fraternité. Cet égoïsme qui nous ferme au don, est source d’indifférence au frère, de haine pour ceux que nous rencontrons, dans la peur d’une autre appropriation, et engendre finalement la violence dans l’injustice des rapports, une forme de silence de mort face au cri de la vie.

Or toute liberté demande d’être vécue dans le dialogue, et l’ouverture à des choix féconds, principe même d’un dialogue de communion avec soi dans la volonté, avec l’autre dans la connaissance, et toujours ancré dans la mémoire de ce qui est profitable. Dans toutes nos discussions, et notamment
dans les défis sociétaux d’une recherche de bien commun pour la cité, il nous faut retrouver la source de notre vocation d’image de Dieu et nous rappeler la fraternité comme source d’altérité pour la communion dans un juste partage, à travers l’acceptation d’accueillir la vie comme don de Dieu
pour la vie éternelle avec Lui. Le refus d’une liberté vers un meilleur bien entraîne la violence et contamine nos rapports dans un jugement sur l’autre, et amène inéluctablement à un manque de communication, plaie de presque tous les conflits.

La première violence est un refus d’intériorité, c’est-à-dire de présence à Dieu dans ce qui fait sens. Cela entraîne un refus de rencontre. Ils entendent la voix du Seigneur qui se promène dans le jardin, et la première chose qu’ils font, c’est de se cacher. Ils refusent cette intimité avec Dieu au nom de leur propre vulnérabilité, et d’une connaissance non ajustée. Ils s’en vont laissant un dialogue inachevé, et ce refus d’une Parole d’inter-dit qui permet l’harmonie. C’est le repli sur soi dans ce qui se révèle un vide
intérieur, une fuite vers l’ailleurs parfois appelée le néant. Une vie de prière oubliée pour des choses utiles, et une lecture superficielle de la Parole de Dieu pour ne pas s’impliquer. Un refus de charité pour ne pas se laisser instrumentaliser par les situations, et manquer même de la plus simple expression humaine de solidarité première. Pourtant, reconnaitre l’amour et en vivre pour le partager dans la gratuité du don est un chemin de sanctification. « L’amour gratuit de Dieu pour l’humanité se révèle, avant tout, comme amour jailli du Père, dont tout provient ; comme communication gratuite que le Fils fait de lui, en se redonnant au Père et en se donnant aux hommes ; comme fécondité toujours nouvelle de l’amour divin que l’Esprit Saint répand dans le cœur des hommes 2 . » 3 L’accueil confiant de la Parole dans notre vie est cette rencontre avec le dynamisme de l’amour Trinitaire dans chaque rayonnement de mon existence pour vivre pleinement mes talents suivant ma vocation spécifique d’image de Dieu. À la violence de l’indépendance, il nous faut retrouver cette autonomie d’image de Dieu appelée à lui ressembler dans l’obéissance de la foi, d’une part, et dans cette volonté première de le mettre à la première place, d’autre part.

La deuxième violence est un refus de s’ouvrir au monde. Une opposition à entrer en dialogue avec l’extérieur qui paraît si menaçant tant nous sommes fragiles, et entrainant des comportements inadaptés. D’ailleurs, plusieurs propositions contemporaines d’évolution des rapports humains entrent dans ces dysfonctionnements relationnels. Souvent, il s’agit du refus de conversion et, parallèlement, d’un renfermement sur une posture idéologique: avoir raison sans autres possibilités d’expression. Alors
l’homme en oublie la raison de la relation et se déroule une partie de cache- cache où la vérité ne remplit pas son rôle d’ajustement à Dieu, à soi et au prochain. La brisure intérieure devient l’incapacité de s’ouvrir à l’extérieur : une rupture sans autre explication qu’un refus d’accueillir l’autre dans son
histoire et la pluralité de sa personnalité. Une forme de clivage que tout oppose, sans possibilité de rapprochement, mais également ce bruit du silence incessant, du vide de l’existence et finalement de l’entraînement vers la désespérance car : ‘je me sens seul dans ce monde’. La solitude venant du
péché brise tout dynamisme d’être, elle est différente de la solitude des origines (avant le péché) qui est ce manque de Dieu et recherche de complémentarité dans l’espérance. Pourtant « La transformation intérieure de la personne humaine, dans sa conformation progressive au Christ, est le présupposé essentiel d’un réel renouveau de ses relations avec les autres personnes : … Il faut alors faire appel aux capacités spirituelles et morales de la personne et à l’exigence permanente de sa conversion intérieure, afin d’obtenir des changements sociaux qui soient réellement à son service. » 4 Retrouver cette ouverture au monde est le fruit d’une conversion intérieure qui nous permet de retrouver le renouvellement des relations avec les frères, ainsi que d’un accomplissement de l’alliance promise par Dieu pour le genre humain. Il nous faut toujours travailler à regarder l’œuvre de Dieu avec bienveillance, et dans notre rapport avec nos frères avec bienfaisance, pour ainsi travailler en ouvrier de paix dans la transformation qu’opère la Parole en nous. (…à suivre)

Père Gregoire BELLUT -Curé – Doyen