Nous voici engagés, en cette période d’entrée pastorale, à  retrouver la joie de la transmission de la foi. Connaitre Jésus nous rend heureux et le partage de la Bonne Nouvelle nous affermis dans la foi. Le pape François le rappelait avec persévérance « L’Évangile, où resplendit glorieuse la Croix du Christ, invite avec insistance à la joie. »[2] Il y a une vraie joie dans la vocation baptismale, que nous devons habiter, et la présence du Christ est comme une lumière qui brille dans notre existence. Une nouvelle existence où la prière est le rythme de notre temps et non l’inverse. Le Christ nous transforme et fait de nous des témoins vivants. Ni tiède, ni silencieux, ni laïcard, la foi transmet l’expérience de l’amour de Dieu dans notre histoire et de l’émerveillement de sa présence au quotidien.

 

La prière nourriture de vie intérieure

La joie de Dieu dans notre vie, l’observation de la grâce agissante dans la réalité de notre existence et de ce bonheur d’être en communion avec lui n’empêchent pas d’expérimenter la solitude du désert, de l’abandon et de la croix. Néanmoins, « la folie de la croix du Christ »[3] est pour nous source du salut, et annonce du Royaume à venir. Par la croix nous sommes rachetés une fois pour toutes, et nous savons que le Christ nous libère, Lui qui est pleinement Dieu et pleinement homme. Le don total du Christ sur la croix nous sauve vraiment, et la résurrection en est le signe efficace. Comme les premiers disciples, notre vocation est de témoigner de cette grâce de la rencontre de l’amour de Dieu, et entraine une transformation de toute notre histoire à l’aune de la présence du Seigneur. Nous ne sommes pas d’un instant, mais bien dans un projet d’amour jusqu’au bout et la découverte profonde d’une joie de communion pour l’éternité. L’amour est liberté de l’homme dans la vérité d’une relation tournée vers Dieu, Un et Trine. Le signe de la croix à chaque prière est bien une profession de foi trinitaire en Dieu, le Père et le Fils et le Saint Esprit. Dieu continue d’agir dans nos vies et le Christ, le Fils unique du Père,  est le chemin, le passage, l’espace de la rencontre personnelle et particulière et la grâce se communique par le Saint Esprit, Personne Don. La communion avec Dieu pour le service des frères fait alors partie de notre joie profonde au nom du don total de la croix. Dans la prière nous expérimentons cette joie pour aller à l’essentiel.

 

Alors retrouver l’espace de la prière c’est soigner sa vie intérieure, dans l’apprentissage d’un silence qui se fait attention afin de nous rendre disponibles à la brise légère, car elle nous parle de la présence de Dieu. L’effort du dialogue avec Dieu est accentué dans les temps forts, et surtout durant le carême, c’est vrai, mais il y a un véritable enjeu à « prier sans cesse »[4] pour répondre au souffle de l’Esprit et vivre la volonté de Dieu en toute chose non sans discernement. « Le monde de la prière est un monde à accueillir et à découvrir et non à capter. »[5] En effet, l’enthousiasme de la rencontre avec Dieu n’empêche pas la prudence dans l’action et le discernement nécessaire au fruit de l’Esprit Saint. Le danger de se prendre pour un gourou peut parfois être réel au nom d’une expérience spirituelle. L’humilité nous renvoie directement au service pour nous rendre disponibles à la grâce, et vivre de la vie de Dieu en vérité. Nous ne pouvons pas capter lorsque nous sommes en tenue de service, « De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : “Nous sommes des serviteurs non indispensables, nous n’avons fait que notre devoir.” »[6] A la suite du Christ la prière nous fait redécouvrir la juste relation pour nous tenir devant Dieu en vérité, au service de la Parole et libres à la grâce de l’Esprit Saint pour exprimer nos charismes au moment opportun.

 

Cependant,  l’espace de la prière est celui du temps à prendre avec Dieu pour choisir une vraie relation où chacun a sa place. Or la volonté de suivre le Seigneur et une meilleure connaissance de sa présence entrainent pour chacun de nous une croissance spirituelle. C’est l’occasion des choix où Dieu a la première place, et nous délaissons d’autres activités qui ne nous nourrissent pas. La révélation de Dieu suscite une redécouverte de notre relation spirituelle. C’est vrai pour tous les mystiques, souvent le spirituel prie le Fils, Jésus, notre Sauveur, et il redécouvre la puissance de l’Esprit Saint[7] qui agit dans l’histoire de chacun, alors il accueille l’amour du Père. Cette prise de conscience pour chacun d’entre nous de cette paternité qui nous redonne l’origine de notre identité. La prière de tout spirituel ancré dans une histoire de vie devient trinitaire. Le parcours de Sainte Elisabeth de la Trinité est un parcours de tous les saints. La vie trinitaire irrigue notre vie spirituelle d’une puissance de communion qui nous fait entrer dans la vérité de l’amour de manière responsable et juste en étant « ni intriguant ni vaniteux »[8], mais dans l’imitation de Jésus par l’obéissance de la foi et cette volonté d’être en communion.

 

 

/ fête de tous les saints /

 

Dans ce temps de la fête de tous les saints, et de mémoire des défunts et à travers l’affirmation de notre foi à la communion des saints (les vivants et les morts), il nous faut reprendre notre réflexion sur la prière comme lieu de sanctification dans la purification des sens par la croix et la disponibilité à la grâce.

 

La disponibilité du cœur

Il est vrai que la prière est aussi l’expérience d’un autre temps où le choix de Dieu impose une disponibilité pour chacun, et la privation d’autres activités. Qui dit liberté, dit des choix à opérer dans la recherche du meilleur bien. Parfois, dans une vie surchargée par de multiples occupations, nous nous trouvons si accaparés que nous sommes indisponibles pour l’écoute de la parole et le chemin d’éveil du disciple. Le témoignage de la foi se vit dans la restructuration de l’agenda particulier pour dire « me voici, envoie moi »[9] à l’inattendu du Seigneur. Rien ne doit être figé, bien au contraire, à chaque instant, dans le souffle de l’Esprit être attentif à la volonté de Dieu et accepter de se mettre en chemin dans une promesse bien réelle. Lors de l’annonciation, Marie doit aller aider sa cousine Elisabeth la stérile, elle qui est maintenant enceinte. Dieu agit. Et ce n’est pas l’histoire d’il y a deux mille ans. Dieu continue d’agir dans nos vies, mais nous sommes de moins en moins disponibles par l’attraction de la superficialité d’une part et de l’idéologie d’un temps pour soi d’autre part. La prière demande un cheminement pour retrouver l’amour de Dieu, et prendre notre croix à sa suite, un processus de croissance afin d’accepter de perdre pour gagner davantage. Le choix de Dieu dans le témoignage baptismal est d’abord un service pour le frère, dans la disponibilité de notre être, ancré dans la prière et la volonté de vivre la charité comme langage du Royaume des cieux à venir et déjà là dans notre pratique vivifiante de la Parole de vie. L’expérience de Dieu fait de nous des témoins de l’amour dans la réalité du moment à vivre.

 

La vie de prière est aussi l’expérience d’une vie sacramentelle que nous recevons dans les sacrements de l’initiation[10]. Or le témoignage de notre foi trouve justement son expression la plus juste dans le sacrement de confirmation, c’est-à-dire dans l’expérience d’une vie marquée par l’Esprit Saint et qui nous engage à témoigner de notre baptême pour construire la civilisation de l’amour. Comme nous le rappelle la mystique allemande, l’expérience de l’Esprit Saint nous renouvelle vraiment et l’eucharistie nous vivifie. « Dans le sacrement de confirmation il marque et fortifie le soldat du Christ pour un témoignage sincère. Mais avant tout c’est le sacrement dans lequel le Christ lui-même est présent qui nous fait membres de son corps »[11] Ces sacrements nous conduisent à traverser l’histoire en témoignage de notre foi renouvelée dans la prière et la communion. L’expérience de l’Esprit Saint, et lavie sacramentelle de communion au corps du Christ amènent à une fécondité qui ne dépend pas de nous mais de Dieu, et exigent de notre part une pleine acceptation dans la docilité de la foi. La Parole de Dieu est alors une balise dans notre vie pour continuer de progresser dans la révélation de Dieu, non pour le savoir, mais pour l’amour. Plus nous connaissons Dieu et plus nous l’aimons. Telle est le chemin de progression de la vie spirituelle.

 

C’est pourquoi, il nous faut retrouver l’amour de Dieu qui le rend premier dans notre vie. La conversion d’un cœur à cœur dans la prière se fera dans la place que nous faisons à Dieu. Lire la Parole demande du temps que nous prendrons sur le superficiel pour entendre le Seigneur nous ramener à Lui de tout notre cœur. « La lecture savoureuse et vivante de la Parole te dispose à trouver Dieu dans la contemplation »[12] Comme nous ne faisons pas de saut sans parachute, nous ne prions pas sans méditation de la parole, contemplation du Verbe fait chair, et la grâce d’entrer dans l’intelligence des Ecritures. Se disposer en Dieu demande d’être un orant qui médite les Ecritures jusqu’à la faire nôtres lorsqu’Il parait. C’est le chant du Magnificat, des morceaux choisis dans l’Ancien Testament qui au moment de la réponse à l’ange et de la visite à Elisabeth prennent une coloration nouvelle parce que la Parole se réalise de manière particulière dans la vie de Marie, pionnière de l’espérance du salut. Nous avons à redire à travers la Parole de Dieu les merveilles de Dieu dans notre vie et les partager dans un chant de louange.

 

            La croix glorieuse comme chemin du salut

De plus, la prière nous pousse à contempler la croix comme signe du salut. Entrer dans le plan du salut c’est accueillir la croix dans toutes ses réalités. « C’est une vocation que de vouloir partager la souffrance du Christ et de coopérer à son œuvre rédemptrice »[13] Il y a une vraie maturation spirituelle, et un engagement profond dans le dialogue avec Dieu pour trouver sa juste place. Persévérer dans la prière nous ouvre à la signification de la croix comme salut pour le bien de tous les hommes. Si nous devons œuvrer pour alléger la souffrance, notamment dans la maladie par l’accompagnement humain et l’accompagnement technique avec une meilleure connaissance du corps humain, l’échappatoire d’une mort programmée dans le refus de porter la croix blesse profondément notre vie chrétienne. Il y a des combats spirituels avec des chutes lorsque nous comptons sur nous-mêmes et que nous ne faisons pas assez confiance à Dieu, et des victoires lorsque nous choisissons Dieu comme l’Un et Trine.

 

Le bonheur d’être à Dieu n’empêche pas l’épreuve, mais nous fait marcher sur la voie du Seigneur sachant qu’Il est toujours à nos côtés. « La foi conserve toujours un aspect de croix, elle conserve quelque obscurité qui n’enlève pas la fermeté à son adhésion »[14] C’est le murissement de notre vie d’accueillir la croix comme lieu de réalisation de la vie spirituelle dans l’abandon à Dieu et l’humilité de nos choix pour grandir en sa présence. L’orgueil est cette montée de violence qui voudrait imposer au lieu de susciter l’amour, d’imposer des points de vue spirituels au lieu d’une recherche de communion pour entendre ensemble le souffle de l’Esprit. Comme une volonté de se prendre pour Dieu en décidant l’heure de ma mort, ou en programmant ce qui est admissible et ce qui ne l’est pas dans le domaine de la gratuité de la vie. L’obscurité est le durcissement du cœur et parfois le vent des tentations nous aveugle. Or notre balise, notre phare est la Parole de Dieu rayonnante dans la prière, et l’aide de notre mère, la Vierge Marie. La première des disciples nous montre le chemin pour aller vers Dieu dans l’exemplarité de vivre sa volonté « Faites tout ce qu’Il vous dira »[15].

 

Retrouver le chemin de la prière est l’occasion de progresser dans la foi pour témoigner de la formidable vie en Dieu. L’enthousiasme des nouveaux croyants doit nous contaminer. Il faut reconnaitre que parfois nous sommes un peu blasés, dans une culture religieuse qui n’attend plus grand-chose de la routine spirituelle. Ne soyons pas des touristes spirituels mais avançons avec ardeur sur ce chemin de communion à Dieu. « Ainsi l’union nuptiale de l’âme et de Dieu est le but pour lequel elle est créée, union rachetée par la croix, réalisée sur la croix et scellée de toute éternité par la croix »[16] La prière au pied de la croix est naissance de l’Eglise, et du témoignage de Marie comme disponible à la grâce de Dieu et Temple de l’Esprit Saint dans une docilité exemplaire. Sa vie ancrée dans le souffle de Dieu est prière confiance et obéissance féconde à la présence du Seigneur dans la réalité du quotidien.

 

Nous pouvons donc comprendre l’union nuptiale dans la prière comme l’expérience du don sincère de soi-même dans l’écoute de la Parole de Dieu, et le service de la charité jusqu’au bout. Ce n’est pas tant sur notre mérite, mais par pure grâce de l’Esprit, et dans le choix de nous laisser guider, qui oriente notre vie vers le meilleur bien, c’est-à-dire la communion à Dieu. Ne soyons pas des pharisiens autosuffisants, mais dans l’humilité du cœur prions avec persévérance : « Mon Dieu, montre-toi favorable au pécheur que je suis !’ »[17]. La grâce de Dieu nous conduit, il nous faut persévérer dans l’écoute de sa présence dans notre vie, et l’abandon à sa sainte volonté. Ajoutons dans la foi que le Christ nous donne ce qu’il faut pour grandir.  « La croix dont Dieu nous charge, extérieurement et intérieurement, s’avère plus puissante que la mortification que l’on s’inflige de son propre chef »[18] Nous recevons de Dieu et nous partageons au monde cette expérience d’un Christ mort et ressuscité dont nous attendons le retour dans la gloire. Telle est la grande espérance du salut que nous partageons.

 

Synthèse

Ainsi la prière à l’ombre de la croix se vit dans l’expérience de la méditation des Ecritures pour avancer avec confiance dans la révélation de l’amour du Père qui nous envoie le Fils pour nous libérer du péché. L’Esprit Saint continue de nous vivifier dans cette marche vers le Royaume. Le don de la Parole de Dieu est lieu de croissance dans l’éducation de tout notre être vers ce désir de Dieu. Alors, l’orientation de notre foi et de notre charité vers la grande espérance du salut nous donne les ailes de la grâce pour avancer avec confiance vers le Seigneur à l’écoute de sa Parole. « Toute l’Écriture est inspirée par Dieu ; elle est utile pour enseigner, dénoncer le mal, redresser, éduquer dans la justice ;     grâce à elle, l’homme de Dieu sera accompli, équipé pour faire toute sorte de bien. »[19]Prière et méditation des Ecritures conduisent l’homme vers Dieu dans une communion rappelant les origines et notre vocation profonde à ressembler à Dieu dans la docilité à sa Parole de vie pour entrer dans une vraie louange ou Dieu est.

[1] 1 Co 1,27a

[2] §5 Evangelium Gaudium François

[3] 1 Co 1,18

[4] 1 Th 5,17

[5] P 251 Prie ton Père dans le secret – Jean Lafrance

[6] Luc 17,10

[7] Où il prend conscience de l’action de l’Esprit Saint dans sa vie

[8] Ph 2,3

[9] Is 6,8

[10] Baptême – Confirmation – Eucharistie

[11] P 78 La puissance de la croix Edith Stein

[12] P 255 Prie ton père, op cite

[13] P 46 La puissance de la croix Edith Stein

[14] §42 Evangelium Gaudium François

[15] Jn 2

[16] P 113 La puissance de la croix Edith Stein

[17] Lc 18

[18] P 107 La puissance de la croix Edith Stein

[19] 2 Tm 3

L’annonce de la Bonne Nouvelle se vit dans l’expérience de la rencontre du grand amour de Dieu pour nous personnellement et de la lumière qui brille dans notre conscience pour nous permettre de discerner ce qui nous fait grandir. Or parfois les chrétiens sont aphones dans notre société, jusqu’à se poser la question d’une identité personnelle et communautaire. Le chrétien existe-t-il vraiment, peut-on alors entendre ? Agissons-nous efficacement pour le Christ, c’est-à-dire rendons-nous compte de notre baptême dans l’annonce de la foi ? L’amour de Dieu est une grâce que nous recevons en tant qu’image de Dieu, mais qu’en faisons-nous ? Il ne s’agit pas de sombrer dans la victimisation ou la culpabilité morbide, mais de rebondir dans la foi pour éclairer notre vie de la Parole de Dieu.

Il y a un véritable combat aujourd’hui entre ce monde de ténèbres qui continue de s’étendre avec la complaisance de beaucoup. Or la lumière du Christ rappelle la dignité sacrée de chaque vie humaine, et Il nous appelle à retrouver un chemin de fraternité pour grandir dans cette liberté de l’amour. « Autour de nous, il y a les ténèbres : les ténèbres de l’incrédulité, de l’indifférence, du mépris, peut-être de la persécution. Néanmoins, nous devons témoigner et vaincre ces ténèbres grâce à la lumière du Christ, même si on ne nous écoute pas, même si on nous ignore. »[1] A l’obscurantisme d’un rien n’existe au sens absolu, voire d’une vision aveugle de la création du monde comme seule équation physique et mathématique pure, doublée de la croyance d’’explication de la science comme réponse absolue, nous entrons dans une négation de toute culture chrétienne dans une forme de déification de la laïcité.

Le refus de la RATP et de la SNCF, cette fois pour des affiches du Sacré-Cœur jugées trop religieuses (et trop chrétiennes), n’est qu’un signe fort de la logique de laïcisation à multiples critères très subjectifs et cyniquement sélectifs. Il nous faut percevoir une christianophobie volontaire. Mais la croix est une composante de notre fois et la possibilité dramatique de refuser l’amour de Dieu. Ajoutons à cela la volonté d’effacement de toute référence chrétienne pour les vacances de la Toussaint, de Noël et de Pâques, et nous entrons dans le désenchantement moral et la venue du cynisme d’État et d’un pessimisme sur le monde, dont les grèves à répétition révèlent la souffrance d’une société en perte de sens. C’est là que nous serons prophétiques, en témoignant de l’amour de Dieu en artisans de paix.  En effet le combat pour la lumière de la vérité est de rappeler l’espérance du Christ et la valeur de l’amour comme don sincère de soi-même. La vie est à protéger contre une hiérarchie de la mort qui promeut l’avortement dans la négation des souffrances et l’euthanasie dans une vision radicale de la validation de la mort sociale. L’homme est-il utile à l’homme, est alors la question première ? Plus de référence à Dieu ou à la transcendance, un refus des valeurs morales, comme embrigadantes, et au nom d’une liberté où tout est permis selon nos propres critères du moment, et une hiérarchie des valeurs dans l’optique de la loi du plus fort et du moment de l’émotion.

A toute époque, nous pouvons voir apparaitre une forme de néo barbarisme dans l’évincement de la culture pour le néant de l’être et la négation de la personne douée d’une raison propre. Alors que ce soit dans l’Antiquité aujourd’hui, comme Paul, nous sommes encouragés dans le Seigneur à redoubler « d’audace pour annoncer sans crainte la Parole »[2]. L’évangélisation rayonne du témoignage de vie, et de notre capacité à rendre compte de notre vocation baptismale de fils et fille de la lumière. Le Christ est mon chemin de vie, et le tien aussi, nous devons le partager.   Il est mort sur la croix pour nos péchés, il est ressuscité dans la gloire et il reviendra pour juger les vivants et les morts, tel est le kérygme de notre foi. La difficulté est justement de participer à cette annonce dans la tiédeur environnante, et l’accaparement de la réalité du quotidien qui parfois nous fait oublier l’essentiel. Or l’appel de l’apôtre Paul continue de nous travailler : « Menez une vie digne de l’Évangile du Christ, afin que, …, j’apprenne que vous tenez ferme dans un même esprit, luttant ensemble d’un même cœur selon la foi de l’Évangile. » L’acédie n’a pas sa place dans l’évangélisation, mais par une prière confiante, et une attitude disponible à l’Esprit Saint, nous sommes invités à continuer de cheminer avec audace dans la foi.

La communion dans la vie de tout baptisé est un appel à la sainteté. Nous devons fuir ceux qui annoncent le Christ par jalousie sur ce qui se fait, ou avec des intentions polémiques. Que dire de ceux qui sans cesse rappellent la volonté d’être un maitre spirituel dans l’enseignement et prennent position de manière désordonnée sur tout sans toujours de compétence dans le domaine, eussent-ils des formations universitaires ?. Nous avons à être des apotres de communion dans la recherche de faire l’unité pour la construction de la civilisation de l’amour, et dans la douceur déployer la paix entre nous pour répondre de notre vocation de disciples du Christ et ainsi mieux imiter le Christ. « Le disciple du Christ accepte de « vivre dans la vérité », c’est-à-dire dans la simplicité d’une vie conforme à l’exemple du Seigneur et demeurant dans sa Vérité.  » Si nous disons que nous sommes en communion avec lui, alors que nous marchons dans les ténèbres, nous mentons, nous n’agissons pas selon la vérité. »[3] Faire la vérité entre nous est donc rechercher la communion pour ensemble bâtir la civilisation de l’amour. Or l’annonce explicite de notre foi, l’ardeur à la partager autour de nous comme don gratuit de Dieu est une expérience unique d’affermissement de la grâce reçue, et de fécondité spirituelle. Sans mettre la main sur Dieu, mais dans cette liberté unique de communiquer notre foi, nous permettons à d’autres d’accéder aux réalités du royaume. La communion est alors partage d’amour dans la gratuité du don pour contempler Dieu et l’adorer d’un seul cœur, d’une seule âme pour former qu’un seul corps. La recherche de l’unité est un prolongement de la foi comme condition propre du disciple du Christ. Une unité de vie dans les vocations particulières de consacrés au Seigneur pour l’annonce de l’Évangile et dans la cohérence des choix de vie. Une unité de vie pour la famille comme première cellule d’Église appelée dans le monde à être fécond. Une unité ecclésiale dans la recherche d’un cheminement avec l’ordinaire du lieu et le Pape.

Mais si la grâce de Dieu est bien présente dans notre vie, l’attaque du mauvais est tout aussi réelle. Et dans l’annonce de la foi, la confusion des genres avec l’argent, le pouvoir et l’esprit de séduction dans une forme de gourou à suivre sont tout aussi présents. Il nous faut être attentif à vivre la gratuité de notre vie dans la disponibilité de notre temps. « Le principe de tous les maux, c’est l’amour de l’argent. Sachant donc que nous n’avons rien apporté dans le monde et que nous n’en pourrons rien emporter, armons-nous des armes de la justice et apprenons d’abord à suivre le commandement du Seigneur. »[4] L’amour de l’argent est la concupiscence de l’avoir. Vouloir posséder jusqu’à être possédé. C’est la célèbre pièce de théâtre de Molière « L’Avare », où l’homme est conditionné par son argent à s’en rendre bien réellement malade. Il agit comme un possédé, car il n’est plus maitre de lui-même, mais il est conditionné par son précieux trésor. Or l’argent n’est que le signe d’une vanité en des choses nécessaires à la surface mais sans aucun intérêt pour le fond. Pire encore, l’amour de l’argent nous entraine sur les pentes du pouvoir et de la domination, nous rendant totalement idolâtres dans la relation tyrannique. Une pente irrémédiable vers la désespérance et la mort, dans l’inutilité fondamentale de tout notre être, et l’irrémédiable vanité d’un rang social qui se désagrège avec l’âge et la perte des fonctions tant intellectuelles et économiques que corporelles. Or nous le savons, il n’y a pas d’âge pour annoncer la Bonne Nouvelle, et notre vie prend sens lorsque le Christ est vivant et que nous l’annonçons. La confusion des modes de vie dans l’annonce de l’Évangile et le rapport au matériel peuvent alors connaitre des dissonances et occasionner des contre-témoignages. La vie de célibat pour ceux qui annoncent l’Évangile est le ferment d’une grâce de sanctification qui demande un temps important à consacrer pour unifier sa vie à l’œuvre de Dieu et ne pas s’éparpiller dans d’autres devoirs d’État. Une vie orientée vers le Christ dans la congruence des choix entraine une unification d’être. Rappelons-le, « C’est en lui-même que l’homme est divisé. Voici que toute la vie des hommes, individuelle et collective, se manifeste comme une lutte, combien dramatique, entre le bien et le mal, entre la lumière et les ténèbres. »[5] Contre l’attaque, la cohérence de vie nous entraine alors à trouver un chemin d’équilibre dans l’appel au bonheur avec Dieu et nos frères, malgré notre péché et la tentation des choix qui enferment.

L’évangélisation est alors ce rapprochement avec chacun pour laisser l’Esprit Saint rendre brulant les cœurs dans le partage des Écritures. Le disciple du Christ partage « les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps »[6] mais dans la grande espérance du salut discerne avec sagesse comment vivre la réalité dans la confiance en Dieu, la prière et le partage fraternel. Accepter de faire un bout de chemin avec chacun pour discerner comment le Christ travaille en nous tous et continue de nous guider sur le chemin de communion avec Lui. La conversion est alors un chemin de transfiguration pour laisser la Parole rayonner pleinement dans les choix nouveaux que nous faisons à la lecture des Écritures.  » Dieu est Lumière, en Lui point de ténèbres « 

[1] Seul contre Hitler – Franz Jägerstätter de Francesco Comina

[2] Ph 1,14

[3] § 2470 CEC 1 Jn 1, 6

[4] Lettre de Saint Polycarpe aux Philippiens – L’idéal chrétien – Office des lectures Lundi 25 TO

[5] § 1607 CEC citant GS 13, § 2

[6] §1 Gaudium et Spes – Vatican II

Le brave Nicolas a connu quelques difficultés dans son identité profonde, et en a été blessé. Rajouter à cela des comportements inappropriés de certains spirituels et le voici en errance allant d’une Eglise à une autre dans ce vrai désir de demeurer en Dieu. Intellectuellement bien charpenté, il apprend une langue et s’investit dans la culture du pays qui entre en guerre, et le voici tout feu tout flamme dans un patriotisme assez désarmant. Tout chez lui est engagement jusqu’au bout avec une forme d’intransigeance radicale qui porte en elle-même la rupture.  Dix ans après, le voici toujours désabusé par cette nouvelle communauté spirituelle et claque une fois de plus la porte. Mais la foi communautaire n’est-elle pas d’abord un regard vers le Christ ? N’est-ce pas Lui qui nous conduit malgré les imperfections humaines et les vulnérabilités des uns et des autres ? Comment faire Eglise en refusant la dimension fraternelle dans l’épaisseur de la pâte humaine ? L’itinéraire de Nicolas n’est pas un cas isolé, mais reflète l’errance spirituelle suite à des difficultés réelles de vie communautaire et l’exigence d’une radicalité évangélique.

 

Le monde parfait est idolâtrique dans le contrôle de toutes les attentes, et tyrannique dans l’expression de la relation. L’Eglise est d’abord le visage du Christ qu’il nous faut sans cesse faire grandir par la sainteté de nos vies. Saint Irénée de Lyon « a appris à mieux penser, portant toujours plus profondément son attention sur Jésus. Il est devenu un chantre de sa personne, même de sa chair. Il a reconnu, en effet, qu’en Lui, ce qui nous semble opposé se recompose en unité. Jésus n’est pas un mur qui sépare, mais une porte qui nous unit. Il faut rester en lui et distinguer la réalité des idéologies. »[i] La foi est donc une relation à l’autre dans l’amour de Dieu qui demande de prendre en compte toutes les faiblesses pour progresser vers le meilleur bien, et non s’enfermer dans le jugement d’une part, et le repli sur soi d’autre part. On peut légitimement s’interroger sur des incohérences des chrétiens face à la foi, comme prier à l’Eglise et prôner l’amour de Dieu, et une fois la messe terminée critiquer les frères avec délectation. Sans parler de ceux qui se disent chrétiens et vivent en païens. Ainsi,  faire la vérité dans notre vie demande une véritable attention de cohérence dans nos choix et d’unification intérieure pour laisser la grâce de l’Esprit Saint agir afin que nous nous laissions modeler par la volonté de Dieu et que nous remplissions notre vocation baptismale de fils de lumière.

 

Une perfection de la relation n’existe pas dans un monde entaché par le péché originel, mais nous avons en Eglise à témoigner de la présence de Dieu dans l’amour que nous aurons les uns pour les autres. La recherche de communion entre nous est d’abord l’expression de la charité pour répondre en écho aux exigences de l’Evangile. « Là où deux ou trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux »[ii] Cela passe par la chose publique. Chrétiens au cœur de la cité nous avons à nous engager tant au niveau associatif que politique afin d’œuvrer à la construction de la civilisation de l’amour, et refuser toute forme d’idéologie pour rencontrer le frère et avec lui bâtir un monde nouveau. C’est l’appel qu’adresse le Pape Léon XIV aux hommes politiques du Val de marne.  « Vous retournerez à vos engagements quotidiens fortifiés dans l’espérance, mieux affermis pour œuvrer à la construction d’un monde plus juste, plus humain, plus fraternel, qui ne peut être rien d’autre qu’un monde davantage imprégné de l’Évangile.  »[iii] Il ne s’agit donc pas de se figer à chaque écueil, ou de retirer son épingle du jeu, mais d’avancer avec confiance en présence du Seigneur.

 

Nous aurons parfois à poser un acte de charité qui pourra être perçu comme un acte politique, mais qui est d’abord un choix prophétique dans l’annonce de l’Evangile. La communauté ecclésiale doit rendre compte au monde de la réception de l’Evangile. Et nul membre n’en est dispensé. Certes, la charité n’a pas de couleur politique, mais elle est bien une composante de notre foi chrétienne et demande la vérité de notre engagement. Alors l’agir moral devient un acte politique. Néanmoins le bon samaritain aide le souffrant, c’est d’abord un acte d’humanité et de fidélité à l’amour de Dieu pour tout homme quelle que soit sa foi. Nous sommes amenés à faire quelques entorses aux règlements pour mettre l’amour en premier, et le radicalisme intransigeant n’a jamais aidé au dialogue ni à la découverte d’une vérité de la relation avec Dieu et nos frères. Il ne s’agit pas tant de mettre de l’eau dans son vin, que d’accueillir le principe de réalité des uns et des autres et d’une recherche de communion qui demande certes une vraie conversion, mais demande un accompagnement bienveillant pour aller jusqu’au bout de la fraternité. « ¨portez les fardeaux les uns des autres »[iv] La communion est une relation fraternelle à rendre féconde. Tout est là. La relation doit permettre la fécondité dans la relation à Dieu et à nos frères dans un même amour. La pâte humaine est le signe tangible de l’amour à vivre dans toutes les réalités.

 

Néanmoins la charité est ancrée dans la grande espérance du salut. Faire Eglise demande beaucoup d’amour, mais aussi d’avoir confiance en Dieu et de puiser dans la grande espérance du salut, les raisons d’aimer davantage. D’ailleurs, la plus belle beauté de notre foi n’est-elle pas le Christ Rédempteur, Celui qui nous a sauvés par la mort sur la croix et la victoire de la résurrection ? Assurément la splendeur de l’amour dans la vérité du don que nous offre l’eucharistie nous plonge dans la richesse du salut. Le Christ mort et ressuscité révèle l’amour de Dieu dans la réalité de notre quotidien pour transfigurer notre vie dans la grâce de sa présence. Tout prend sens parce que le Christ nous a sauvés. L’Eglise c’est le corps du Christ, et nous rappelle qu’Il est au milieu de nous. Dans la Parole méditée, il réchauffe notre cœur et nous rend pleinement témoins de sa présence dans le monde de ce temps. Par l’Esprit Saint, il nous fait habiter la grâce du salut. En recevant la vie de Dieu et en communiant à son corps et à son sang Dieu nous vivifie entièrement. La participation à l’eucharistie « Source et sommet de toute la vie chrétienne »[v] nous recentre sur le Christ et Lui seul. Dans la vie de foi nous avons à nous rappeler sans cesse que c’est Lui qui est notre Seigneur, et que c’est vers Lui que nous devons sans cesse nous tourner, au cœur même de notre communauté. Nous n’avons pas à être des gyrovagues[vi] des communautés paroissiales ou ecclésiales. Au cœur de nos communautés nous avons à témoigner de l’amour de Dieu, et à conformer notre vie à l’Evangile dans une pratique de la conversion et de la prière.

 

Ensemble, peuple de Baptisés nous avons à annoncer la joie de la Bonne Nouvelle pour tout homme, et c’est dans la communion que nous pourrons le faire avec plus de force. Ne regardons pas nos faiblesses, mais laissons-nous embraser par l’Esprit Saint pour avancer avec assurance dans la foi et construire ensemble cette civilisation de l’amour. « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis »[vii] La reconnaissance de notre fraternité vient d’un même Père qui est Dieu et répond à l’exigence du Christ d’aimer jusqu’au bout non dans l’émotion du moment mais la grâce de l’accueil de sa présence par le souffle de l’Esprit Saint. « L’Église étant, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain, elle se propose de mettre dans une plus vive lumière… sa propre nature et sa mission universelle. »[viii] Le brave Nicolas aurait dû mieux comprendre cette union intime avec Dieu dans la prière et le service de la charité, tout en faisant la vérité en lui-même et autour de lui. C’est un appel baptismal pour chacun d’entre nous. Nous pouvons être tiraillés par « les événements de ces jours-ci » et comment nous pouvons être crucifiés par des aspects de la vie communautaire peu reluisants. Mais il nous faut aussi rechercher comment vivre la communion et à travers l’eucharistie vivre le sacrement de la charité avec audace dans l’accueil de la présence du Seigneur dans la pauvreté de nos fragilités humaines, et de celles de nos frères. Etre prophétique, c’est peut être aussi réveiller le message de l’Evangile, toujours dans l’humilité mais avec audace et  persévérance,. L’appel à la conversion est personnel et communautaire. Rappelons-le avec force « L’Esprit habite dans l’Église et dans le cœur des fidèles comme dans un temple, en eux il prie et atteste leur condition de fils de Dieu par adoption »[ix] La joie de Dieu se vit dans la communion fraternelle et notre capacité d’entrer en relation, c’est-à-dire de participer ensemble, avec la grâce première de Dieu à l’édification du royaume déjà là lorsque la charité est présente.

 

Vivre en Eglise est un appel pour chacun à rechercher la communion et prendre sa place pour accueillir la vie de Dieu. Après tout, la grande espérance du salut ouvre les portes du ciel pour entrer dans la joie du maitre et glorifier Dieu pour tous ses bienfaits, et Ils sont nombreux. Toute notre histoire devient alors un langage des signes de Dieu dans notre vie, et un itinéraire de connaissance progressive pour grandir en son amour et trouver une foi adulte et responsable afin de témoigner de notre espérance qui nous anime. C’est parfois un chemin de croix, mais toujours orienté vers la lumière de la résurrection. « Plus l’âme monte haut vers Dieu, plus elle descend profondément en elle ; l’union se réalise au cœur de l’âme, au plus profond d’elle-même »[x] Soyons conscients de notre vocation baptismale et construisons l’unité entre nous au pied de la croix pour rayonner en disciples du Christ de la promesse du salut.

[i] Espérer c’est relier, Saint Irénée de Lyon – Léon XIV 14 juin 2025

[ii] Mt 18,20

[iii] Discours à une délégation d’élus – Diocèse de Créteil Jeudi 28 aout

[iv] Ga 6,2

[v] §11 Lumen Gentium – Vatican II

[vi] Gyrovagues, terme employé par St Benoit pour fustiger les moines passant d’Abbaye en Abbaye. L’importance de l’enracinement est au cœur de la pratique bénédictine

[vii] Jn 15,16

[viii] §1 Lumen Gentium – op cité

[ix] §4 Lumen Gentium – op cité

[x] P 112 La puissance de la croix Edith Stein

 

Janvier 2022

 

EDITO 1 SEPTEMBRE 2021