En entrant dans l’Avent, pour une nouvelle année liturgique, il nous faut cheminer vers la révélation pascale en accueillant le Sauveur dès sa naissance. Noel est une fête pascale par anticipation. Et en continuant notre parcours sur les réalités du Ciel, il nous faut vivre le changement du regard, pour entrer dans cette dynamique de l’émerveillement avec un cœur pur pour contempler Dieu.

Or, la difficulté à regarder son frère avec bienveillance vient du péché et de la concupiscence du regard. C’est-à-dire, dans son for intérieur, s’apprêter à laisser ses instincts grégaires dans son propre besoin d’assouvissement sans maitrise de soi, ni une volonté clairement exercée dans l’obéissance de la foi. En quelques mots, une ignorance de notre vocation d’image de Dieu pour développer une pulsion animale dans une désagrégation de tout notre être. La convoitise du regard va de pair avec l’expression d’un désir intérieur qui se manifeste dans l’imagination, et qui ne demande qu’à passer à l’acte si nous ne mettons pas les garde-fous nécessaires. D’ailleurs les maladies psychiques sont en général, un franchissement des garde-fous pour tomber dans le pathologique, que ce soit la bipolarité, la schizophrénie, ou encore la paranoïa… (sans prétendre donner une liste exhaustive). Un profond clivage de notre manière d’être qui a des répercussions désastreuses sur notre âme et sur notre corps, aggravant un mal-être profond. Le regard enferme, c’est vrai, mais parfois il tue dans une dislocation de l’autre provoquant une déflagration dans l’équilibre psychique. Le harcèlement scolaire dont nous parlons tant, commence par une concupiscence du regard, dans un mépris de l’autre et une volonté d’humilier pour le plaisir d’asseoir son propre pouvoir ou sa domination dans le clan. Il nous faut lutter, par le jeûne et la prière, contre le désir désordonné qui aboutit à un regard d’exclusion et de suffisance de soi-même. La dignité humaine se vit concrètement pour nous, à travers la capacité à voir en l’autre un frère à aimer et à accompagner pour une meilleure vie dans la recherche du bien commun et d’une vie bonne en Dieu. Nous avons des gestes forts à poser pour témoigner de notre foi et refuser l’écroulement du lien fraternel Notre vie spirituelle se concrétise par des actes prophétiques et porte du fruit même dans le martyr, car nous travaillons pour le Royaume des cieux. Mettre Dieu en dehors de notre vie et de notre société nous conduira inexorablement dans un monde sauvage, sans âme mais avec un appétit féroce pour dévorer l’autre. Les tyrannies se sont bâties sur la concupiscence du regard et une vision tronquée de l’humanité. Seuls la méditation des Ecritures et l’accompagnement spirituel nous aident à progresser pour une plus grande fécondité dans l’appel baptismal à la sainteté et à la construction de la civilisation de l’amour. La vie du citoyen du Ciel est d’être artisan de paix dans l’annonce de l’évangile et le témoignage de vie pour une communion fraternelle toujours plus forte dans le souffle de l’Esprit. Une réunification intérieure passe par l’éducation du regard à la compassion pour être dans un juste rapport. « Heureux ceux qui pleurent ils seront consolés ». Le partage d’une humanité vulnérable par l’incarnation du Christ nous montre le chemin de la réalité humaine de la vie, et la vérité de l’amour qui s’expérimente vraiment. Il faut pleurer pour comprendre la joie de la consolation.

La concupiscence du regard fait partie des affres du péché originel, énuméré dans la lettre de saint Jean. Il faut avoir un regard de compassion dans la relation fraternelle et vouloir la communion pour bâtir un dialogue fécond. Refuser le péché nous ouvre à la fraternité d’éternité. Mais le regard peut être enfermant, d’ailleurs le Christ, dans le contexte du désir de la chair, le définit comme « l’adultère du cœur », c’est-à-dire voir l’autre comme objet. « Tout homme qui regarde une femme avec convoitise a déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur. » Avant l’acte, le regard pousse à la faute, lorsqu’il est mal orienté. L’histoire de Saül nous montre le péché du regard qui entraine la mort de l’âme dans la brisure du lien fraternel. « Saül regardait David avec méfiance. Le lendemain, un mauvais esprit envoyé par Dieu s’empara de Saül qui fut saisi de transe prophétique au milieu de la maison. David jouait de son instrument comme chaque jour, et Saül avait sa lance à la main. Saül la lança en se disant : « Je vais clouer David au mur ! » Mais par deux fois David échappa à Saül. » Le changement de regard sur celui qui avait gagné contre Goliath entraver une pensée libre de rencontre, pour la jalousie du rang et la soif du pouvoir. Cela est aussi vrai dans nos communautés lorsque nous marchons ensemble, répondant à l’appel de l’Esprit, puis nous sommes comme happés par une rivalité maladive, souvent dans des regards envieux et inadaptés, oubliant que nous sommes d’abord au service du Christ et pour la construction de l’Eglise avant de faire notre petit commerce personnel. La personne au regard désaxé oublie de savoir si elle vit pour la communion. Les tensions fraternelles sont souvent dues à un manque de simplicité dans les rapports des uns avec les autres et une volonté de partage, qui est certes un chemin de résurrection mais connait aussi des croix et des renoncements.

 

Si nous reprenons, la convoitise du regard est le premier pas de la convoitise de la chair dans ce contexte précis. Comme le précise d’ailleurs saint Jean Paul II « L’adultère commis « dans le cœur » n’est pas inscrit dans les limites de la relation interpersonnelle qui permet d’identifier l’adultère commis « dans le corps ». Ce ne sont pas exclusivement et essentiellement ces limites qui décident de l’adultère commis « dans le cœur », mais la nature même de la concupiscence, exprimée dans ce cas-ci par le regard, c’est-à-dire par le fait que l’homme, que le Christ cite à titre d’exemple, « regarde pour désirer ». L’errance du regard est cette chosification de la relation pour ne voir en l’autre qu’un garde-manger pour nos propres désirs. La dimension du regard dans l’appel à la sainteté exige la maitrise de soi et la volonté de suivre le Christ. Le point faible est signifié par l’appétit sexuel, comme nous le rappelle justement l’évangile, mais nous ne pouvons pas arrêter la concupiscence du regard seulement sur l’aspect libidineux. De plus, si nous avons vu l’aspect du morcellement intérieur, il nous faut regarder aussi la nécessaire justice dans l’échange avec le prochain.

 

Le rapport à l’argent et à sa finalité doit être aussi entrevu sous l’aspect de la vertu de justice et d’un discernement prudentiel quant aux moyens nécessaires. La vertu de justice impose que nous ayons un juste rapport à l’aspect financier et que nous ne fassions pas de l’argent une fin. Rien ne sert de courir le meilleur salaire ou de demander à Dieu la fortune, car l’amour n’a pas de prix. Nous sommes invités dans la simplicité de notre vie à rechercher ce qui nous est nécessaire, et non à vivre dans la superficialité. « J’ai des difficultés avec l’enseignement sur la « prospérité » qui dit que si nous suivons le Seigneur nous serons en sécurité et dans l’aisance matérielle. C’est en complète contradiction avec les Ecritures et aussi avec ce que nous expérimentons en Chine. Suivre Dieu est un appel non seulement à vivre pour Lui, mais aussi à mourir pour Lui » Le témoignage de ceux qui vivent la joie de croire dans un pays de persécution nous invite à retrouver de la prudence face à ce que nous recherchons comme essentiel et à séparer la bénédiction de Dieu de l’aisance financière. La bénédiction de Dieu ne tient pas à la grandeur du poste, ni à l’évolution de la position sociale, ni même aux longues années. Carlo Acutis, comme Thérèse de l’enfant Jésus nous montre que dans une vie courte, la richesse de la relation à Dieu comble toutes les attentes. La joie du témoignage, par la disponibilité du cœur à l’instant présent, démontre une simplicité de vie, pas après pas, juste pour aujourd’hui. Chacun doit vivre un chemin unique de complémentarité de la grâce, et non pas être une pale photocopie de la grâce entachée de l’esprit de ce monde et des dévoiements proposés. De fait, Dieu nous demande d’être saint, et non d’être riche. L’un ne s’oppose pas à l’autre, mais la vraie prière est une vie ancrée en Dieu et dans l’accueil de sa grâce pour témoigner de sa foi. Ensuite le Seigneur utilisera ce qui nous est le plus favorable pour déployer notre vocation personnelle d’enfant de Dieu pour la liberté de l’amour.

Père Gregoire BELLUT – Curé – Doyen

Le rapport à l’argent, entre autre, est un vrai questionnement, mais soyons vigilant, ce qui brille n’est qu’illusion. On pourrait par vanité avoir le meilleur téléphone portable, au coût d’un ordinateur plaqué or, mais pour quelle utilité ? La futilité de la mode nous montre bien qu’il faut discerner ce qui est nécessaire et refuser ce qui est insignifiant comme les honneurs ou la recherche d’un pouvoir éphémère lorsqu’il n’est pas fondé en Dieu. Nous pouvons prendre plaisir à paraitre, dans la superficialité du moment, mais il nous faut bien prendre conscience que nous aurons besoin de retrouver du sens par rapport à ce que nous sommes, et l’épreuve nous met face à l’urgence des réalités et à nos priorités. «Vanité des vanités disait Qohèleth. Vanité des vanités, tout est vanité ! » 1 La sagesse nous pousse à percevoir l’essentiel.

Si nous y regardons de près, certains chrétiens irakiens dans leurs témoignages disaient vivre de manière dilettante face à la guerre qui s’approchait, la guerre est pour les autres mais n’arrivera pas ici, lors de la prise de Mossoul, ils nous disent qu’ils ont, pris conscience d’un choix à poser et d’une réaffirmation de la foi à vivre pour retrouver le chemin de la communauté ecclésiale et de la prière. Dans nos sociétés occidentales, l’éparpillement des valeurs dans la superficialité de la mode et des idéologies en tout genre nous éloignent inexorablement de notre vocation d’image de Dieu appelé à la ressemblance. C’est le constat d’autres Eglises non européenne, qui voient la perte de transcendance pour le cynisme de l’apparence et ce qui est utile. « En occident de nombreux chrétiens ont une abondance de biens matériels, mais ils vivent dans un état de tiédeur. Ils ont de l’argent et de l’or, mais ils ne se lèvent pas pour marcher au nom de Jésus. » 2 Le tourisme spirituel de certaines personnes interroge : on passe de paroisse en paroisse sans être fidèle à une communauté, on change d’Église en Église, dans un vagabondage de la foi. On émigre d’une église capable de commémorer les défunts à un culte incapable de vivre la communion des saints. Et n’oublions pas l’invention de spiritualités ancestrales revues et corrigées dans une marchandisation culturelle abjecte 3 . La fluidité spirituelle, dans une recherche de foi correspondant à nos vies, sonne comme un refus de conversion et de transformation intérieure à opérer dans le Christ Jésus. C’est une vaine course idolâtrique d’une spiritualité adaptée à nos valeurs et, dans une contextualisation à outrance, on en oublie la radicalité de la Parole. Il y a bien une vanité idéologique dans le relativisme des situations pour distordre le sens profond des Ecritures et l’appel à la conversion. La propre glorification du changement, pour penser et agir autrement appelé paradigme, est un refus de l’appel des Écritures à aller au large et interroge fortement aujourd’hui. La foi se vit dans la tradition apostolique et l’accomplissement de l’esprit de la loi, et non un affranchissement de la parole à cause d’une culture particulière qui se veut ouverte et universelle mais se révèle si vaine. Quant à nous, l’appel à retrouver le chemin qui mène vers Dieu nous invite à fuir les suffisances de cette vie qui passe, pour nous enraciner dans ce qui est essentiel : le Christ notre Seigneur. « Que rien ne te trouble, que rien ne t’épouvante, tout passe, Dieu ne change pas,…Dieu seul suffit. » 4 La vérité de notre foi se fonde sur les Ecritures, et trouve dans nos actes le témoignage de la confiance en Dieu et la volonté de continuer l’œuvre de Dieu, chacun selon ses propres talents. Il s’agit alors de se recentrer. Quelle est la personne la plus importante dans ta vie, demandait-on dans un jeu que des adultes faisaient pendant la fête du nouvel an. La femme allait répondre « mon mari et mon mariage dans l’année » mais, un enfant répondit avant elle « ça c’est facile, la personne la plus importante c’est Dieu ». Parfois, les petits nous remettent dans une bonne échelle de foi et nous font revoir notre hiérarchie des valeurs dans une spontanéité, signe du Royaume à venir. Nous devons retenir cette facilité du choix, comme le dit le sage : « tout est vanité, hors aimer Dieu et le servir lui seul » 5 Se rendre disponible à la grâce demande alors de laisser toute forme d’orgueil pour accueillir la promesse du Salut et se conformer à la Parole de vie, source de tout bien.

1 Ecl 1,2
2 P 273 Citoyen du Ciel, Brother Yun EdB 2023
3 La spiritualité est américaine – Jean Marie Gueullette Cerf 2021

La précarité de la vie nous éclaire sur nos propres vulnérabilités et les choix cruciaux qu’il nous faut faire parfois entre des réalités fondamentales, par exemple la vie et l’absurdité de la mort, parfois la maladie, ou encore ce qui importe dans la hiérarchie des valeurs et la réalité des ruptures familiales. Tout cela remet en perspective notre véritable désir dans une soif de l’action de Dieu et un engagement à le servir. L’apparence des situations que nous avons pu connaitre, non sans satisfaction à ces moments précis, devient d’une vanité sans fond. La mort nous rappelle à l’essentiel : qu’est-ce que je fais de ma vie pour servir Dieu en toute chose ? « Vanité donc, d’amasser des richesses périssables et d’espérer en elles. Vanité, d’aspirer aux honneurs et de s’élever à ce qu’il y a de plus haut. Vanité, de suivre les désirs de la chair et de rechercher ce dont il faudra bientôt être rigoureusement puni. Vanité, de souhaiter une longue vie et de ne pas se soucier de bien vivre. Vanité, de ne penser qu’à la vie présente et de ne pas prévoir ce qui la suivra. Vanité, de s’attacher à ce qui passe si vite et de ne pas se hâter vers la joie qui ne finit point. » 6 Dans un monde en turbulence, des propositions aussi absurdes les unes que les autres, comme le choix de la beauté dans un musée des horreurs, entre la déliquescence bioéthique et le positionnement de l’accueil de la vie dès sa conception et l’accompagnement de la fin de vie, l’errance de la corporéité à travers la théorie du genre et l’idéologie perverse du féminisme, sans oublier de pointer les formes de violence sociétale. Un inventaire non exhaustif d’une gangrène de l’expression de surpuissance, parfois dans la satisfaction de sa propre performance technique et scientifique, nous font errer dans le désert de l’être, abandonnant les plaines de la liberté créatrice et féconde. Nous, disciples kérygmatiques, sommes appelés à redire la Bonne Nouvelle du Salut, en refusant toute forme de satisfaction dans le paraitre et redire que l’homme est image de Dieu, bénédiction de Dieu pour toute la création lorsqu’il est en communion avec son Créateur. On peut avoir en Eglise des opinions politiques différentes, des approches théologiques dissemblables, des façons de prier manifestement décalées, chaque messe du dimanche nous rassemble dans la communion des croyants, pour témoigner en artisan de paix ce qui fait notre attachement au Christ et à sa Parole, par une communion en communauté kérygmatique capable de se parler dans la diversité des personnalités et de témoigner de la vie de l’Esprit.

4 Thérèse d’Avila – œuvres complètes - Poème
5 L I, 24&7 imitation de Jésus Christ
6 L I, 1,&2 imitation de Jésus Christ

La place du premier serviteur de la communauté paroissiale doit être rappelée avec force. Le prêtre est un serviteur de la civilisation de l’amour, témoin d’une présence en lui, fruit de l’Alliance et de la fécondité. Il vit dans la gratuité de la relation, toujours attentif à l’autre et non centré sur lui-même, attentif au cri du monde et à l’approfondissement du dialogue avec Dieu. Il répond à l’appel dans la
disponibilité de son être en faisant confiance à la Parole et au souffle de l’Esprit « Qu’il me soit fait selon ta volonté ». Il n’est ni dans une course médiatique, ni dans un marchandage émotionnel mais dans l’accomplissement de la croix pour rayonner de la grande espérance de la résurrection. Ni collabo de l’esprit de ce monde, ni déserteur du beau combat de la foi, ni super héros, ni déterminé par sa vulnérabilité, il est enfant de Dieu, enfant de Roi. Il entre dans le temps de Dieu et participe à la communauté pour la rendre plus fraternelle, plus juste dans la vérité des Ecritures. Ce qui fonde le ministère est la rencontre du Christ, la réponse à son appel et la volonté de lui être fidèle par amour pour le servir jusqu’au bout. Tout le reste est vanité. –

Le vrai défi pour chacun d’entre nous est d’aimer en vérité, et non dans une course vaniteuse de performance spirituelle : à celui qui fait le plus de convertis, se met le plus au service de la charité, quand cela ne passe pas par l’évaluation de la qualité de prière et de son efficacité ! Oui la glossolalie, comme la manipulation hystérique des masses n’est pas signe de sainteté. La vanité se glisse dans toute chose si nous ne sommes pas vigilants en développant la vertu de prudence pour discerner ce que nous devons vivre et comment rendre témoignage de la présence de l’Esprit Saint en nous. La louange est une porte d’entrée dans l’accomplissement de notre vie spirituelle. Une expérience de décentrement de soi-même pour nous refonder en Dieu seul. « Car la création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu : si elle fut assujettie à la vanité, … à cause de celui qui l’y a soumise, c’est avec l’espérance d’être elle aussi libérée de la servitude de la corruption pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu. » 7 La vocation de citoyen du Ciel, et nous le sommes, par les sacrements de l’initiation 8 , nous demande de fonder notre grande espérance du Salut sur l’humilité du cœur pour accueillir notre Seigneur. La liberté se vit en présence du Seigneur et dans la joie de sa grâce, pour agir en fonction de la volonté de Dieu et dans la ferme intention de lui rester fidèle. Tourné vers les fins dernières, nous désirons Dieu de tout notre cœur et de toute notre âme, dans une charité inventive pour vivre la communion en toute circonstance. Car c’est avec Dieu que la notion de liberté prend sens dans la recherche du meilleur bien, c’est-à-dire d’une communion d’amour pour l’éternité.

7 Rm 8
8 Baptême (et la grâce agissante), confirmation et eucharistie

Père Gregoire BELLUT – Curé –Doyen

La joie est l’expression de l’Esprit Saint dans notre vie. Ce don de la grâce arrive avec la paix pour nous amener à gouter des fruits de sa présence en nous et à porter un témoignage que nous partageons autour de nous. En tant que disciples du Christ et dans l’accueil de sa présence, la joie authentifie notre transformation intérieure et nous envoie vers les autres comme missionnaires de la miséricorde du Seigneur et de sa bonté pour chacun. Nous parlons d’une joie contagieuse, ni grave ni fébrile, mais d’une intériorité qui se témoigne avec audace par la profusion des manifestations dans la juste distance. Elle n’est pas introvertie ni excentrique, mais l’expression même de la reconnaissance d’une relation vraie par l’amour du Rédempteur dans le souffle de l’Esprit. Une bonne saveur de Dieu par le gout de la contemplation de son œuvre « Gloire au Seigneur à tout jamais ! Que Dieu se réjouisse en ses œuvres ! » 1 Elle est une expression de tout notre être devant la Toute Puissance de Dieu dans la beauté de son amour et la vérité de ses œuvres, nous poussant à rechercher ce qui est bien dans la gratuité de la rencontre.

Dieu fait notre joie et nous répondons en écho à sa révélation en vivant cette allégresse. Telle est la définition de la joie spirituelle avec les pieds sur terre. L’évangile de saint Luc que nous allons lire dans la prochaine année liturgique est plein de joie, parce que le Dieu de l’Alliance, dans la fidélité de sa présence, nous procure un ajustement d’être, une cohérence d’histoire, une unification personnelle et une communion fraternelle dans la joie de ceux qui le cherchent. « … réjouissez-vous de ce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux » 2 La communion des saints, que nous fêtons de façon particulière le 1 er novembre, est communion de joie et nous devons la découvrir, non avec des critères entachés du
péché originel, mais avec la grande espérance du Salut et la révélation du dynamisme de l’amour dans toute la Création. Tel est le chemin des béatitudes que nous poursuivons dans l’espérance, lors du jour des défunts, à travers le prolongement d’une prière de communion pour les vivants et pour les morts. Parler de joie dans la célébration des défunts, est bien autre chose que la frivolité du temps qui passe, ou
l’exubérance de sentiments souvent décalés. La joie durant la célébration des défunts est « une joie espérante » 3 . En toute circonstance vivre la joie de Dieu, c’est s’ouvrir dans la réalité du temps présent à sa présence agissante, lui qui est la source de la vie, le chemin du bonheur, la vérité de notre histoire. « Ce qui procure de la joie, c’est le triomphe de la vie et l’effacement de la mort, c’est la mobilisation des forces vitales et l’oubli de la finitude, mais ce n’est plus l’acceptation sereine de la vie et de la mort, du bonheur et de la peine. La réalité que l’homme approuve avec joie est donc une vie désertée par la mort, une vie qui a refoulé la mort » 4 La vie en Dieu est profusion d’amour reçu par révélation, vécu dans la méditation des Ecritures et de la promesse d’Alliance, à partager dans la joie communicative. Le fait qu’il vienne nous sauver et nous libérer de nos esclavages, pour nous faire connaitre l’amour pour l’éternité, n’est-il pas la source de toutes nos joies ? Nous savons que le Seigneur est présent en toute occasion et nous avons confiance en sa parole, pour le jour de notre mort, et sa promesse de la vie éternelle. Telle est notre joie et la paix intérieure qu’elle infuse en nous pour accéder à la promesse du Salut.

1 Ps 104, 31
2 Lc 10,20
3 Article de Laurent Lavaud, communion XXIX,4 juillet – aout 2004 la joie espérante p 15-29

Nous allons en Eglise ouvrir le Jubilé 5 et peut être pouvons-nous méditer l’appel de saint Paul VI dans son encyclique sur la joie de l’année sainte 1975 « Notre invitation appelle essentiellement, vous le savez, au renouvellement intérieur et à la réconciliation dans le Christ. Il y va du salut des hommes, il y va de leur bonheur plénier. Au moment où, dans tout l’univers, les croyants s’apprêtent à célébrer la venue de l’Esprit Saint, nous vous invitons à implorer de lui ce don de la joie. » 6 Nous comprenons bien que la joie est d’abord un retournement intérieur pour laisser le Seigneur nous transformer et nous modeler à son image selon sa ressemblance, mais par grâce de l’Esprit Saint, faire de nous des témoins crédibles de sa grâce, et accueillir la communion avec Dieu avec reconnaissance. Si le pape actuel lance un appel à retrouver la grande espérance du Salut et à en vivre, c’est pour continuer
l’œuvre de l’amour dans la joie de la rencontre. « Mais chacun, en réalité, a besoin de retrouver la joie de vivre car l’être humain, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu 7 , ne peut se contenter de survivre ou de vivoter, de se conformer au présent en se laissant satisfaire de réalités uniquement matérielles » 8 La dimension spirituelle de l’homme redonne sens à ce qu’il doit vivre, à ce qu’il doit faire, à ce qu’il est vraiment aimé de Dieu, et appelé à témoigner de cet amour autour de Lui dans la fidélité à la Parole, la gratuité de sa présence et le service fraternel auprès de tous. La joie de tous les saints est joie de l’Eglise et notre joie, en tant que fidèles du Christ. Orientée vers l’espérance, l’année jubilaire nous fait redécouvrir cette joie de la rencontre avec Dieu et nos frères, dans une nouvelle dimension du temps et une césure de vie nécessaire à un réaménagement de l’espace des rencontres et des conversions à vivre.

A travers les joies de nos vies, nous pouvons retrouver la promesse d’Alliance et le bonheur de reconnaitre le Seigneur pour accueillir sa Bonne Nouvelle. C’est la dimension des disciples d’Emmaüs : « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous, tandis qu’il nous parlait sur la route et nous ouvrait les Écritures ? » 9 Tout joyeux, libérés de toute peur, dans une vie nouvelle ils retournent à Jérusalem témoigner de la rencontre. . Habiter à nouveau notre foi, c’est sortir des torpeurs familiales et culturelles et de la tiède acédie, pour laisser l’Esprit Saint agir dans nos vies et nous rendre disponibles à sa grâce. Certes nous pouvons connaitre des difficultés, mais Dieu est toujours présent. Comme le rappelle si bien l’introduction de la constitution pastorale « Les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des hommes de ce temps, des pauvres surtout et de tous ceux qui souffrent, sont aussi les joies et les espoirs, les tristesses et les angoisses des disciples du Christ, et il n’est rien de vraiment humain qui ne trouve écho dans leur cœur. » 10 Or si nous communions aux réalités humaines, dans l’histoire de chacun la grâce nous ouvre à d’autres dimensions, où la joie est celle de la communion avec Dieu, et connait un autre essor, sans pourtant être étrangère à notre réalité adamique. Une différenciation entre les choses de la terre et celles du ciel, en termes de sentiment, lorsqu’on parle d’amour, de paix, de joie, n’est pas correcte lorsqu’on les oppose ou que l’on transforme les définitions en des incompatibilités. La joie que nous éprouvons sur terre dans la communion avec Dieu est un avant-gout de ce que nous connaitrons au ciel, d’une manière complète et extraordinaire, mais certainement pas étrangère…. L’altérité est pour la complémentarité. Que nous soyons des personnes différentes, c’est pour une communion d’amour plus dynamique dans l’échange et l’usage des charismes spécifiques de chacun. La communion des saints est une page d’histoire pour nous édifier aujourd’hui sur l’appel à actualiser son témoignage de foi dans la société à laquelle nous appartenons et dans le temps qui est le nôtre. Le souffle de l’Esprit nous conduit à diffuser la Bonne Nouvelle.

4 Ibid p 21
5 Les années jubilaires, d’abord tous les 50 ans puis tous les 25 ans, sont l’expression d’une action de grâce pour Dieu et d’une
sanctification du peuple de Dieu dans un esprit de louange et de témoignage de foi.
6 Gaudete Domino – Paul VI
7 cf. Gn 1, 26
&9 Spes non confundit – Pape François

L’invitation à la joie est d’abord celle de la rencontre, où l’ange Gabriel dit à Marie « Réjouis-toi » 11 et où Marie répond par un tressaillement « de joie en Dieu mon sauveur » 12 Une rencontre avec le Seigneur promis aux bergers comme « une grande joie » 13 parce que le Salut est une aventure personnelle à partager avec tous dans une démarche d’invitation à suivre le chemin qui conduit vers le Père. Le Christ, Verbe fait chair, découvre la joie du Royaume pour ceux qui ont entendu la Parole de
Dieu 14 et la mettent en pratique. « La Parole de Dieu écoutée et célébrée, surtout dans l’eucharistie, alimente et fortifie intérieurement les chrétiens et les rend capables d’un authentique témoignage évangélique dans la vie quotidienne. » 15 Dieu agit dans notre vie et tressaille de joie 16 sous l’action de l’Esprit Saint lorsqu’il voit l’homme agir en conformité à sa vocation, pour la louange du Père et l’imitation du Fils. L’homme entre dans la joie de Dieu lorsqu’il se manifeste dans son histoire 17 .

9 Lc 24,32
10 &1 Gaudium et Spes – Vatican II
11 Lc 1,14 avec la nuance que le mot joie est l’interpellation en grec du mot bonjour en français, ou salut en latin et paix (shalom) en
hébreu
12 Lc 1,14
13 Lc 2,10
14 Lc 8,13
15 &174 Evangelii Gaudium - François
16 Lc 10,21

Vivre notre foi demande de laisser Dieu habiter notre histoire, et donc le rendre participant à nos décisions, notamment dans la prière, l’accompagnement spirituel et le discernement des Écritures. L’écoute de la Parole et agir en responsabilité donnent une vraie joie de vivre l’instant présent. C’est pourquoi nous devons sans cesse nous convertir et transformer notre vie en présence du Seigneur pour nous laisser habiter par sa grâce 18 . La résurrection donne l’avant-gout d’une joie sans fin, à travers la rencontre du Christ vivant 19 . Il faut que nous sachions redécouvrir la joie de la présence de Dieu dans notre vie et que nous la cultivions pour la laisser grandir dans le souffle de l’Esprit Saint et porter témoignage. « Nous sommes tous appelés à offrir aux autres le témoignage explicite de l’amour salvifique du Seigneur, qui, bien au-delà de nos imperfections, nous donne sa proximité, sa Parole, sa force, et donne sens à notre vie. » 20

Père Gregoire BELLUT – Curé – Doyen

 

Janvier 2022

 

EDITO 1 SEPTEMBRE 2021