« Si je marche en pleine détresse, tu me fais vivre » SENS DE LA VIE 7
Il nous faut prolonger notre réflexion sur les aidants et les familiers d’une personne demandant l’euthanasie. Comment devons-nous nous positionner ? En rappelant notre responsabilité du don de Dieu et la vérité de l’amour jusqu’à redécouvrir à chaque instant la volonté de Dieu. Nous sommes responsables de nos frères devant Dieu qui continue de nous interroger : « Qu’as-tu fait de ton frère ? »[1] Dans l’humilité, il nous faut relire notre propre expérience de la relation dans la vérité de la personne humaine et de sa dignité propre. Si un jeune homme de 20 ans décide de se jeter du pont par désespoir amoureux, et parce que c’est une trop grande souffrance de supporter cela. Naturellement chacun fera en sorte de l’en dissuader. Mais lorsque c’est un vieux dans un lit d’hôpital, ou une personne avec une pathologie grave, alors là, tout est permis. N’allons pas dans l’hypocrisie relativiste qui cherchera à dire que ça n’a rien à voir. « Ça » a justement tout à voir.
L’accompagnement des personnes est de rappeler le don précieux de la vie comme une occasion de cheminer ensemble dans une relation plus forte car plus vraie lorsqu’on est proche de la mort. La fin de vie s’accompagne d’une relation de vie et non d’une forme de terrorisme par la possibilité d’accélérer la mort. La vie de l’homme est relation et l’accompagnement de chacun dans tous les aspects de la réalité quotidienne ouvre d’autres horizons. « Chaque vie conçue est un grand bien et la destruction et l’interruption de la grossesse sont un mal énorme »[2] disait le cardinal Wojtyla, et c’est aussi vrai pour l’euthanasie. La destruction de toute vie est un mal pour toute l’humanité, et sa conscience. Nous pouvons parler d’une conscience commune abimée par des actes insensés. La liberté interpersonnelle implique une responsabilité de tous, dans les choix d’un. Rien n’est neutre dans ces domaines, surtout si socialement nous en faisons un acquis. Comment les générations futures pourront comprendre ce néobarbarisme ? Non, l’euthanasie n’est pas la dernière liberté à conquérir, mais la énième tyrannie à établir. Déjà d’ailleurs certains attaquent la liberté de conscience pour obliger à la pratique des actes euthanasiques sans parler des abusifs délits d’entrave. Tout est dit dans l’application mortifère et liberticide de telles mesures.
Derrière la question de l’euthanasie, c’est toute la dignité de la personne qui est en cause. Or la dignité de la personne est signifiée entre autres par la fraternité. Toute personne est digne car elle est d’abord mon frère. Dans la devise républicaine, on peut aisément le comprendre. La dignité est liée à la reconnaissance d’une même fraternité, d’une même humanité. Elle n’est donc pas liée à la liberté, mais à la relation et à cette égale dignité face à toutes les réalités. « La dignité humaine ressemble plus à un appel à un postulat qu’à un fait accompli ou bien élaboré par les hommes au plan aussi bien collectif qu’individuel. »[3] La dignité de la personne comme postulat demande ainsi de relayer cette fraternité dans la réalisation de la place de chacun au cœur de la société. Ce qui se comprend de manière républicaine se comprend encore mieux avec la définition religieuse d’homme créé à l’image de Dieu. Personne ne peut porter atteinte à cette image, et la valeur de don de la vie reste à respecter dans une cohérence des contingences. La dignité de l’homme à la lumière du Christ Rédempteur est bien une « dignité de la grâce de l’adoption divine et en même temps la dignité de la vérité intérieure de l’humanité ».[4] L’accueil d’une relation à l’autre qui accompagne, et soutient avec persévérance pour un meilleur bien, est compagnon d’humanité. Un artisan de la vie pour la dignité de la personne humaine et de son histoire afin d’aider à trouver une juste place, prendre conscience de sa valeur et faire mémoire de ce qu’il y a de beau et de vrai. La vraie liberté de l’homme est d’abord un accueil de l’histoire de l’autre et sa véritable dignité. Ni euthanasie, ni acharnement thérapeutique, impliquent alors le respect du corps en premier face à l’invasion des technologies. « La dignité de l’homme signifie qu’il faut placer l’être humain plus haut que tout ce qui a été conçu par lui dans le monde visible… L’homme ne vit pas pour la technique, pour la civilisation, et même pas pour la culture. »[5] L’homme vit pour la relation dans la construction d’une civilisation où chacun a toujours sa place, quel que soit son état, et ne peut en aucun cas être abandonné à son propre sort, ou vouloir accélérer son sort. La transcendance de la vie humaine rappelle chacun à son propre devoir de responsabilité de vie dans les actes à poser.
Alors comment accompagner une personne fatiguée de la vie, et dans une position de détresse telle qu’elle demande la mort ? D’abord lui rappeler qu’elle a de l’importance à nos yeux, et que nous sommes encore heureux de passer du temps avec elle. Que nous l’accompagnons dans sa démarche de partage d’histoires, et de valorisation de ce qui a été accompli. D’une recherche de relation riche de rencontres où le lendemain est attendu avec ardeur. « La personne est un tel bien que l’attitude juste et riche, porteuse de valeurs, ne peut être envers elle que l’amour. »[6] Une personne qui se sait aimer, dans la juste relation à l’autre, et la vérité du partage ouvre à d’autres réalités. Dans les demandes d’euthanasie, il faut entendre les détresses et les solitudes, comme parfois les désarrois suicidaires, et certainement pas prendre la demande comme argent comptant. Sans cesse rappeler qu’il ne faut jamais perdre confiance, et avancer dans sa propre histoire pour gouter à tout ce qu’il nous faut vivre. Déployer aussi ce qu’il faut pour aider à accompagner la souffrance, notamment en prenant du personnel compétent et formé. Savoir retrouver dans l’histoire, malgré les faiblesses du moment, les forces qui nous ont accompagnés jusque-là. Et pour nous chrétiens, la première force c’est le Christ Rédempteur qui nous dévoile par son incarnation la véritable dignité humaine jusqu’à l’agonie de la croix. Ne nous détachons pas du Christ. Par la foi il nous rend véritablement libres et nous apprend que l’amour se vit dans la vérité de nos actes et la juste relation aux autres pour construire un monde meilleur. L’amour s’est vraiment manifesté par la croix et redonne à toute vie humaine ses racines et son sens. « L’homme n’est pas capable de se comprendre lui-même à fond sans le Christ. Il ne peut saisir ni ce qu’il est, ni quelle est sa vraie dignité, ni quelle est sa vocation ni son destin final »[7]. Le débat de l’euthanasie a forcément une dimension spirituelle et tout baptisé doit donc réfléchir à la lumière de son baptême et de la tradition apostolique. La foi est commune et cohérente. Elle ne peut être une affaire d’option personnelle ou de sentiment issu d’une expérience souvent émotive et peu rationnelle. Retrouver le dialogue avec la personne, c’est lui rappeler l’amour de Dieu, mais aussi de notre présence fraternelle dans un témoignage de notre foi. « Une Église qui construit les ponts, le dialogue, toujours prête à accueillir …avec les bras ouverts tous ceux qui ont besoin de notre charité, de notre présence, de dialogue et d’amour. »[8] Cet appel général du nouveau pontife romain prend une coloration particulière dans la problématique de la fin de vie. Là plus qu’ailleurs il nous faut témoigner de l’audace de la foi missionnaire, et de cette présence du Christ qui illumine toute vie. Tenir les bras ouverts pour accueillir toutes les histoires et articuler l’ensemble dans la grande espérance du salut, où Dieu dans sa miséricorde accueille tout pénitent pour son royaume. Les besoins dans ces étapes ultimes de la vie ne sont pas une proposition de mort, mais bien un accompagnement de vie pour la vie éternelle.
Non, l’euthanasie n’est pas une bonne aide active à mourir, mais bien un meurtre avec préméditation. Il nous faut protéger le langage des avatars vaseux pour faire passer des notions étrangères à la raison et à la vérité. Défendre avec clarté la vie, c’est refuser le brouillard des situations pas souvent explicites pour trouver prétexte à la transgression de la loi de toute société : « Tu ne tueras pas. » Souvent nous aurons à répondre avec précision sur les positions pour ne pas répondre à des slogans mais effectivement recentrer le débat sur l’essentiel et refuser tout ce qui pourrait être un déracinement du bien commun et de ce qui fait la civilisation. Nous avons à réfléchir sur la personne humaine avec un devoir de lucidité pour ne pas entendre les sirènes des possibles, et d’un « puisque c’est possible, faisons-le ». La construction des Babel de la mort dans une volonté de recherche technique et d’accompagnement par des substances de plus en plus précises est l’agonie de la raison. Encore faut-il réentendre que la personne humaine est un sujet pour une relation et non un objet à ranger dans un cercueil. « La personne est un tel bien qu’on ne peut pas l’utiliser, elle ne peut pas être traitée comme objet et donc comme moyen pour atteindre un but. »[9] La volonté d’une régulation économique et démographique doit nous rendre opposés à cette proposition au nom même de la dignité humaine et de sa valeur intrinsèque.
Le naufrage d’une humanité réclamant l’euthanasie est patrie en perte d’âme. Elle est cette épave de la raison dans la mer des émotions, et les tempêtes de l’actualité et de la technique sans réflexion sur le sens et ce que cela induit de notre notion d’être ensemble et la vision d’espérance. Soyons une Église de communion où chacun a sa place, et où nous allons à la rencontre de chacun dans toutes les occasions afin d’aider à la croissance humaine et à la révélation de la vérité de l’amour dans le Christ, source de toute vie. Comme le rappelle si justement le saint pape, « aucune circonstance, aucune finalité, aucune loi au monde ne pourra jamais rendre licite un acte qui est intrinsèquement illicite, parce que contraire à la Loi de Dieu, écrite
[1] Gn 4,10
[2] p. 236, notre ami Karol Wojtyła de M. Maliński, le centurion 1980, ouverture du 8 février sur le colloque L’interruption de la grossesse dans tous ses aspects.
[3] p. 174 Mon ami Karol Wojtyła de M. Malinski le centurion 1980 Radio Vatican 10 octobre 1964
[4] &11 Redemptor Hominis – Jean-Paul II
[5] p. 174 Mon ami Karol Wojtyła de M. Malinski le Centurion 1980 Radio Vatican 10 octobre 1964
[6] p. 252 Mon ami Karol Wojtyła op. cité Référence au livre Les fondements du renouveau, l’étude sur la réalisation du concile Vatican II 1972
[7] p. 358 Mon ami Karol Wojtyła de M. Maliński le Centurion 1980 fin du premier voyage de JP II en Pologne
[8] Discours du 8 mai 2025 – Loggia – Léon XIV
[9] p. 252, mon ami Karol Wojtyła, op. cit. Référence au livre Les fondements du renouveau, l’étude sur la réalisation du concile Vatican II 1972

