Le rôle de l’adversaire

L’abandon de la promesse de création a été fait par l’Adversaire. Le Diable a refusé, malgré son rang d’ange de lumière, la volonté de Dieu et dans une position d’orgueil spirituel, s’est coupé de Lui, On parlera alors d’orgueil spirituel comme la plus grave forme d’orgueil, puisqu’elle touche même à la transcendance, à notre relation à Dieu et à nous même en tant qu’image de Dieu. L’orgueil de Satan rode autour de nous comme un mal faisant des ravages. Retirez-lui toute spiritualité et l’homme devient une bête immonde. Tels sont les idéologies nauséabondes du siècle dernier (que nous subissons toujours), mettant Dieu au ban de la société et promouvant des sociétés inhumaines et mortifères. « L’assurance des méchants naît, au contraire, de l’orgueil et de la présomption, et finit par l’aveuglement. » 1 La rupture consommée entre le Diable et Dieu, devient pour le Malin une situation d’enfermement et de souffrance, car exempte de tout amour du seul et unique Créateur, Dieu Un et Trine.

En oubliant notre vocation d’être, personne humaine, à la louange de la création, nous nous désorientons vers d’autres désirs qui nous poussent à assouvir nos pulsions sans régulation, dans un défraiement de la liberté et un dévoiement de la grâce. C’est bien là, l’orgueil spirituel ; marchander sa relation à Dieu pour soi ou pour les autres, dans une recherche d’utilité sans saisir la gratuité de l’amour et l’esprit de service pour le bien de tous. Cela va en résonnance avec la rupture diabolique de l’ange de lumière. Et les arguments sont presque les mêmes, « il faut bien que je m’occupe de moi-même » ! Errance humaine ô combien dommageable ! Lorsque cela ne tombe pas dans une recherche du miraculeux, et une forme d’ésotérisme dans toute sa folie. Comme l’auteur fait parler le Christ dans le fameux livre du XIV 2 siècle « ‘Il y en a qui ne marchent pas devant moi avec un cœur sincère; mais guidés par une certaine curiosité présomptueuse, ils veulent découvrir mes secrets et pénétrer les profondeurs de Dieu, tandis qu’ils négligent de s’occuper d’eux-mêmes et de leur salut. Ceux-là tombent souvent, à cause de leur orgueil et de leur curiosité, en de grandes fautes, parce que je m’oppose à eux.» La curiosité présomptueuse, pousse à la recherche vaine d’une quelconque science sans conscience. Vouloir découvrir les secrets de Dieu pour mettre la main dessus, et se révéler initié afin de rompre la fraternité, dans une position de maître. Oublier l’amour est pure folie. C’est ainsi que l’orgueil spirituel est un naufrage par la curiosité malsaine, et une voie sans issue dans la connaissance de Dieu, pire, un chemin qui nous mène vers l’enfer. Alors vient la superstition et le vagabondage de la foi dans une volonté de surnaturel, avec un manque de discernement et de sagesse.

Comprenons le bien ! Une recherche du mal, et la volonté de nuire se développent dans le refus d’amour et de communion. Avec les anges, il y a eu une première rupture de la rencontre, un refus de dialogue dans le service, pour une possession d’un entre-soi (comme nous le dit la tradition). Avec cohérence, nous pouvons suggérer que le Diable est devenu une non-personne 3 . Dans cette logique on pourrait dire que l’orgueil nous déshumanise et nous clive profondément dans une absence de lien fraternel. Cela nous disperse dans le travail et nous isole dans les prises de position, entrainant inexorablement une solitude grandissante jusqu’à une chute abyssale du piédestal. A nous croire comme Dieu nous agissons comme des diables.

1 L, I, 20&7 Imitation de Jésus Christ
2 ou XVème la datation est difficile, et l’auteur inconnu

On peut continuer la réflexion en définissant deux facettes de l’orgueil, l’égoïsme et l’indépendance 4 . La caisse de résonnance dans la vie spirituelle nous autorise à classer beaucoup de chutes à travers les deux grilles de lecture. Soit on devient une forme de gourou, soit on s’isole dans une forme d’indépendance ecclésiale. L’appréciation de l’orgueil vient de cette errance de l’homme face à Dieu « J’escaladerai les cieux ; plus haut que les étoiles de Dieu, j’élèverai mon trône ; j’irai siéger à la montagne de l’assemblée des dieux au plus haut du mont Safone, J’escaladerai les hauteurs les hauteurs des nuages, je serai semblable au Très-Haut ! Mais te voilà jeté aux enfers, au plus profond de l’abime » » 5 l’orgueil nous jette dans le néant de la mort sans pouvoir nous en sortir. Refuser Dieu, c’est ne pas être. Le refus de la gratuité de l’amour et du don, dans le soupçon, est mortifère. Au contraire, l’acte de foi et de confiance en l’amour malgré toutes les circonstances apporte une fécondité dans la relation et l’accueil de toutes les réalités dans les vulnérabilités qui sont nôtres. La personne humble sait qu’elle doit tout attendre de Dieu et continue de faire confiance en toute circonstance.

L’opposition de Satan à Dieu est, pour la destruction de la Création, le refus de contempler Dieu, et de jouir de son amour infini. Le refus de vérité nous ferme au bonheur véritable, à Dieu, à la juste relation. Au contraire, dans l’humilité de la croix nous sommes appelés à recevoir la grâce du Salut, pur don de Dieu pour chacun d’entre nous, sans aucun mérite de notre part, mais juste parce que Dieu est amour, et qu’Il nous aime vraiment. Une rencontre personnelle où il s’offre à l’initiative pour quémander dans la responsabilité de nos réponses afin d’accueillir sa grâce, et de le suivre pour toujours. Par la croix, Dieu nous dévoile la vérité de son amour divin et nous attire à Lui pour toujours, lorsque nous nous laissons transformer. La difficulté de l’amour est de l’accueillir dans sa capacité de conversion de notre part, et d’accueil de la puissance de la grâce d’autre part. « L’orgueil est le commencement de tous les maux. » 6 Et le Tentateur, sous la forme du serpent, coince le premier couple dans l’engrenage infernal de la défiance et de la volonté de toute puissance orgueilleuse. « Ils pensaient devenir comme des dieux, et ils se rendent compte qu’ils sont nus, et qu’ils ont aussi si peur : car lorsque l’orgueil a pénétré le cœur, personne ne peut plus se protéger de la seule créature terrestre capable de concevoir le mal, c’est-à-dire l’homme » 7 La dimension humaine dans sa relation à Dieu est entachée par la défiance, et la volonté d’être indépendant. Vaine pensée orgueilleuse de l’indépendance qui ne reconnait pas son histoire propre à la lumière de la vérité, sombre dans l’idéologie du Malin pour ne pas accueillir les pas de Dieu dans notre histoire, ni sa présence tout au long de notre vie. Car même si nous ne sommes pas fidèles à sa Parole, Lui est fidèle au nom même de sa Parole. « L’orgueil est un venin, c’est un venin puissant : une goutte suffit pour gâcher toute une vie marquée par le bien. Une personne peut avoir accompli une montagne d’actions bénéfiques, avoir récolté des applaudissements et des louanges, mais si elle n’a fait tout cela que pour elle-même, pour s’exalter elle-même, » 8 alors tout est vain. Lorsque l’égo l’emporte sur la croissance spirituelle et par conséquent sur le partage fraternel en vérité, tout devient vain. Oui l’orgueil est un venin, mais, lorsqu’il touche aux réalités spirituelles, il devient mortel.

 

3 Une non-personne (ou l’anti-personne), désintégration , ruine de l’être, c’est pourquoi il se présente sans visage Joseph
Ratzinger 1973. « La figure du Diable reste néanmoins fondamentalement insaisissable et il y a une discussion sur sa nature.
Des théologiens se demandent si le Diable est une personne. Les jésuites Bernard Sesboüé ou Karl Rahner sj affirment ainsi
que l’on ne peut pas dire que c’est une personne ni le contraire. Car ce qui constitue une personne est la capacité de relation,
or le diable est dans le refus définitif de la relation avec Dieu, mais le refus complet de relation est en soi une relation !... Le
cardinal Ratzinger parlait de Satan comme d’une non-personne. Paul VI a situé la question du Diable comme
«l’interprétation chrétienne du mal», alors que Jean Paul II a parlé du mal en évoquant des structures de péché, animées par
un égoïsme forcené qui permet l’existence de structures mauvaises, comme l’exploitation, à l’opposé de la solidarité. Le
pape François a souvent évoqué le Diable.» 14 mars 2023 n 15 Regard (février-mars 2023) de Bruno Fuglistaller SJ
4 P 186 Tactiques du Diable – JB Golfier
5 Is 14,13b-15
6 Catéchèses Vices et vertus Pape François – 2024 – 1 introduction ; gardien du coeur

La référence à la première attaque de l’adversaire contre Dieu dans ce refus de service au nom d’une étrange hiérarchie de domination révèle l’inadéquation d’un mauvais choix aux conséquences désastreuses. Or dès le commencement, nous sommes par vocation appelés à une juste altérité dans la complémentarité au nom même de la liberté de l’amour et de son dynamisme généreux dans la relation. Le Diable a refusé l’altérité de l’homme et sa complémentarité dans la louange à Dieu. Néanmoins le mal n’apparaît jamais dans sa brutalité la plus bestiale, mais s’infiltre malignement dans le soupçon des bonnes relations, et induit à l’erreur. Nous le voyons sur la présence même du mal, et des scènes blasphématoire dans une ambiance qui se voulait bonne lors de l’ouverture des Jeux Olympiques 9 . D’un autre côté, on voudrait expliquer d’un point de vue psychologique toutes les déviances, sans en saisir la teneur spirituelle, et la problématique de foi qu’elles posent. D’ailleurs, comme le dit le pape François, « Aujourd’hui, nous assistons à un phénomène étrange concernant le démon. À un certain niveau culturel, on pense qu’il n’existe tout simplement pas. Il serait un symbole de l’inconscient collectif, de l’aliénation, bref une métaphore » Non ce n’est pas une métaphore, mais une réalité parfois bien tangible d’une manifestation qui veut nous séparer de Dieu, certaines lectures autorisées d’exorcistes sur la vie d’Hitler par exemple, montrent par plusieurs signes des formes de possession assez évidente. Certes cela ne dédouane pas la responsabilité personnelle de l’homme, ni celle de ceux qui se sont engouffrés dans ce délire. Mais il faut avoir le courage aussi de dire qu’il y avait bien quelque chose de démoniaque. L’assassinat de Daphrose et Cyprien Rugamba dans le double génocide 10 du Rwanda en 1994, et la célérité des soldats à profaner le tabernacle et éparpiller les hosties, avant même de tuer les habitants, montrent la dimension spirituelle d’une telle haine, et la manifestation de l’esprit démoniaque. Toutefois, les yeux fixés sur le Christ, avec l’armure de la foi, le bouclier de la justice et l’épée de la victoire, nous voici armés par la Parole pour faire face. « La conscience de l’action du diable dans l’histoire ne doit pas nous décourager. La considération finale doit être également celle de la confiance et de la sécurité : “Je suis avec le Seigneur, va-t’en ”. Le Christ a vaincu le diable et nous a donné l’Esprit Saint pour que nous fassions nôtre sa victoire. » 11 Avoir confiance en Dieu et persévérer dans la prière sont les voies les plus justes d’un combat où Dieu fait son œuvre en abattant les murailles de Jéricho et manifeste sa victoire par les chants de louange et d’actions de grâce, avec parallèlement un même refus de toute forme d’idolâtrie. Ainsi, nous pouvons conclure l’orgueil est idolâtrie.

7 ibid
8 Catéchèses Vices et vertus Pape François – 2024 &16 La vie de Grace selon l’Esprit
9 JO 2024 Ouverture des jeux avec une imitation blasphématoire de la Sainte Cène
10 Hutu et Tutsi – Voir livre noires fureurs, blancs menteurs, Pierre Péan Ed mille et une nuits – livre d’enquête
11 Catéchèses L’Esprit Saint conduit le peuple de Dieu Pape François – 2024 &7 Jésus conduit par l’Esprit dans le désert

Père Gregoire BELLUT – Curé – Doyen