Au cœur de l’Église, vivre la communion d’amour

Comme nous le rappelle le pape François par les prières du pharisien et du publicain 1 , l’enjeu est justement de cultiver l’humilité du cœur et de fuir toute forme de hiérarchie de vie spirituelle. « Le pharisien se glorifie, sûr de lui, convaincu qu’il est parfait : debout, il commence à ne parler au Seigneur que de lui-même, à se louer, à énumérer toutes les bonnes œuvres religieuses qu’il accomplit, et il méprise les autres : « Je ne suis pas comme celui-là… » Parce que c’est de l’orgueil spirituel — …nous risquons tous de tomber dans cela —. Il te porte à te croire bon et à juger les autres. C’est de l’orgueil spirituel : «Je suis bon, je suis meilleur que les autres: celui-ci a une chose, celui-là une autre…». Et ainsi, sans t’en apercevoir, tu adores ton moi et tu effaces ton Dieu. C’est tourner autour de soi. C’est une prière sans humilité. » 2 On peut lire en ces lignes le processus exact enclenché par le diviseur : celui de se démarquer de Dieu et du service de l’amour pour son propre compte, en oubliant, hélas, que nous ne sommes que des créatures, dans la fragilité qui est la nôtre, anges ou hommes. Le pharisien se juge un grand spirituel parce qu’il remplit ses devoirs extérieurs, quant au publicain, il connait sa situation, et il implore le pardon attirant la compassion du Très Haut dans cette humilité du cœur. L’enjeu fraternel est d’oublier notre communion d’amour car nous avons un même Père, et l’impératif de vivre en paix pour exercer la louange dans toutes ses dimensions. Hélas certains veulent se faire mousser, et rabaisser l’autre, dans cette odieuse suffisance en détournant la grâce à une utilité de service. « Il y a des gens qui jettent le trouble parmi vous et qui veulent changer l’Evangile du Christ » 3 L’instrumentalisation de l’Evangile à des fins personnelles afin de nous détourner de la radicalité de la parole d’amour est pure folie, et Saint Paul nous le rappelle, que de tels gens soient anathèmes ! Mais nous dans cette vocation d’enfant de lumière, nous sommes déjà par anticipation citoyen du ciel lorsque nous vivons la grâce sous le souffle de l’Esprit. L’humilité devient alors le signe de notre amour sincère pour Dieu et pour le prochain dans l’attention sans cesse renouvelée de chanter les louanges du Seigneur. L’Evangile du Christ est Bonne Nouvelle pour chacun, un chemin de croissance dans la vérité de nos actes et une vie pour l’éternité auprès de Dieu lorsque nous répondons à son appel.

Alors nous illuminons notre quotidien de sa présence, en discernant les signes, et en l’appelant auprès de nous. En effet, dans la complémentarité avec le Créateur nous formons sens. Sans Lui, tout est néant. Le combat spirituel trouve donc, disons-le une bonne fois, sa pointe la plus aiguë dans l’orgueil spirituel, et commence par l’avalanche des concupiscences que nous laissons et qui envahissent le quotidien. « Certaines choses nous inclinent à aimer le monde, d’autres à le mépriser. Le désir de la chair, le désir des yeux et l’orgueil de la vie inspirent l’amour du monde; mais les peines et les misères qui les suivent justement produisent la haine et le dégoût du monde. » 4 Le principe même de l’orgueil dans la volonté de lumière et d’éclat dans le monde pousse à la désespérance et le dégout de soi et des autres. Les concupiscences, et l’incapacité de maitrise de soi entraine à une grave chute d’estime, et d’être, que ce soit connu ou pas d’ailleurs. C’est la désespérance des actes qui nous poussent à nous dégouter de nous-mêmes, et à essayer de trouver des refuges aliénant, que ce soit par le suicide de Juda en ayant trahi Jésus, l’indifférence au monde et la froideur de la relation dans une forme de cynisme à vomir, ou le refuge dans la superficialité du moment sans responsabilité sur le lendemain dans une vaine course à l’accaparement du vide pour l’illusion de l’utile. Certains vies peuvent être sidérantes du vide intérieur et de la pauvreté de l’âme qui sont les leurs, jusqu’à crier, souvent, leur souffrance-même dans l’addiction. L’argent n’empêche pas le désespoir, la gloire sans relation authentique entraîne la solitude ; quant aux relations de séductions et de dominations, elles se révèlent, l’âge venant, la platitude d’une course sans raison. Or c’est le Christ et lui seul qui nous conduit sur la vraie vie, celle d’un don de Dieu qui se reçoit, qui s’approprie et se partage. Une vie pleine de sens en Dieu dans un courant de grâce ou l’émerveillement dans la simplicité des relations poussent à la vérité de la rencontre.

1 Lc 18,9-14
2 Angélus du 23 octobre 2022 – Pape François
3 Ga1,7

L’orgueil spirituel, sachons-le, touchait déjà les premiers chrétiens. « Les uns proclament le Christ en esprit de jalousie et de rivalité ; d’autres le font avec une intention bienveillante. Ceux-ci annoncent le Christ par amour, sachant que je suis ici pour défendre l’Évangile ; ceux-là le font en intrigants, sans intention pure, pensant aviver ainsi l’épreuve de mes chaînes. » 5 Le dévoiement de sa foi pour arriver à ses fins est un problème majeur, parce que le témoignage empêche aux autres d’approcher, et de gouter au banquet du Royaume. Tout ce qui ne nous unit pas est un contre-témoignage, et la division est lieu d’exclusion. Chacun n’est pas libre de penser ce qu’il veut, lorsque cela engage la fraternité et notre témoignage de foi. Recherchons donc, en artisans de paix, ce qui peut nous rassembler et fortifier notre unité. Il y a une forme d’intelligence relationnelle à retrouver dans notre vie baptismale, et vie ecclésiale, pour accueillir l’urgence de la promesse du salut par le service de l’amour que nous déploierons. Point de fuite, ou de changement de crémerie, mais une ferme volonté d’être fidèle à la foi de l’Eglise et dans l’humble attitude du serviteur disponible en toute occasion à rendre témoignage dans la liberté de l’amour. L’expérience du Christ dans le souffle de l’Esprit est notre passage de la mer rouge, et le fil conducteur de notre foi pour avancer avec confiance, et répondre à l’appel du Christ pour lui faire place dans notre aujourd’hui.

L’humilité est la voie par excellence de l’accueil de la grâce et de la fécondité de la
présence de Dieu en nous. « Gardez-vous surtout de la vaine complaisance et de l’orgueil. C’est ainsi que plusieurs s’égarent et tombent dans un aveuglement presque incurable. Que la chute de ces superbes qui présumaient follement d’eux-mêmes vous soit une leçon continuelle de vigilance et d’humilité. » 6 L’orgueil, lorsqu’il corrompt notre relation à Dieu, nous entraine rapidement dans un enfermement sectaire. Ce n’est pas seulement la nuque raide, mais tout le corps qui est contaminé par le péché, et les bonnes œuvres sont alors gaspillées par la pourriture du péché. Oui nous devons être attentifs dans notre vie à ne pas instrumentaliser la Parole de Dieu, ni l’expédier vers un contexte précis qui ne nous concerne pas. Par exemple, parler de Parole de Dieu, comme parole de compassion pour entrer dans la révélation du Dieu Un et Trine, ne doit pas empêcher d’annoncer une parole de rupture et de compassion dans les changements de vie à opérer. L’égarement étant de mélanger compassion et rupture pour s’accommoder de la volonté de Dieu, qui devient de facto volonté de l’homme à Dieu, péché d’idolâtrie par excellence. Toutes les Écritures nous font entrer dans un chant d’amour de Dieu pour Son peuple et une hymne d’alliance, à renouveler sans cesse par l’obéissance de la foi, jusqu’à l’incarnation du Christ, la nouvelle Alliance éternelle pour le Salut de l’homme. La création de l’homme dans la liberté de l’amour n’est pas un marché de dupe, mais une réalité à redécouvrir dans l’exercice de nos responsabilités, chacun selon les talents reçus.

4 L,III, 20;4 Imitation de Jésus Christ
5 Ph 1,15-17
6 L,III, 6;5 Imitation de Jésus Christ

Dans l’Église, vivre la communauté dans une instrumentalisation du pouvoir c’est vivre dans une logique d’orgueil spirituel : mes paroissiens, mon curé, ma paroisse, mon banc, ma chaise, mon service… Lorsque l’esprit de possession a mis l’emprise sur le service, alors nous sommes dans la domination de la relation, au nom même de Dieu, l’instrumentalisant selon nos propres désirs, ce qui est le pis que nous puissions faire, et faire en Son nom.. À un moment donné cela devient gros comme une maison, mais soyons en surs, cela commence toujours par des petits riens en croissance pour l’appétit d’ogre et qui sans la vigilance des frères et un discernement prudentiel, peuvent manger la relation dans une autorité in-ajustée. Même dans l’évangélisation au service des frères nous pouvons nous fourvoyer. « Le ministère était devenu une idole. Travailler pour Dieu avait pris le pas sur aimer Dieu… je continuais de lire la Bible quotidiennement. Cependant je faisais cela par obligation et par habitude, et non avec un cœur ouvert découlant de ma relation avec Jésus » 7 Nous pouvons retrouver cette vocation devenue idole dans nos communautés notamment par la disponibilité de notre précieux temps. Agir dans notre présence en service commandé interroge (je fais le strict minimum et dans mon intérêt au service de mes propres actions). Je suis là, certes, mais dans l’absence de l’amour gratuit de Dieu et du prochain et il y a une manière de compter son temps sa présence, oubliant par la même notre vocation fraternelle, dans la gratuité du temps passé ensemble pour louer le Seigneur. Un accaparement des tâches, et de ce qui est utile au lieu de nous laisser conduire par l’intelligence des Ecritures sur une vocation propre à notre appel.

Nous ne sommes pas loin d’une contrainte portée par le regard des autres et de nous- mêmes. Être là juste pour faire acte de présence ou en délégation pour justifier notre identité d’êtres spirituels. C’est une tromperie que de venir en visiteur sans transformation intérieure. Faire le minimum syndical dans une étroitesse de la fraternité conduit à un dessèchement de la vie ecclésiale. Refuser de changer son jour de repos, ses loisirs quotidiens, les réunions vampiriques de famille et d’amis en dehors de la réalité ecclésiale, ou plus simplement de se laisser déranger au nom d’un principe totalitariste de son propre « temps personnel à moi et à personne d’autre » est naufrage de la relation gratuite de l’amour et de la disponibilité de tout notre être à la réalité du temps présent. « Le Seigneur Dieu nous désire jalousement pour lui-même. Il est l’amant de nos âmes. Si jamais nous plaçons quoi que ce soit avant notre relation avec Jésus – y compris notre travail pour Lui – alors nous serons piégés » 8 L’orgueil spirituel est justement ce piège de notre positionnement au nom de Dieu. À l’écoute de l’Esprit Saint, nous pourrons facilement faire les choix de vie, et puiser à la source la fécondité de la vie et ce qui nous fait grandir.

 7 P 183 Citoyen du ciel

Père Gregoire BELLUT – Curé – Doyen