La vanité comme prolongement de l’orgueil

Le rapport à l’argent, entre autre, est un vrai questionnement, mais soyons vigilant, ce qui brille n’est qu’illusion. On pourrait par vanité avoir le meilleur téléphone portable, au coût d’un ordinateur plaqué or, mais pour quelle utilité ? La futilité de la mode nous montre bien qu’il faut discerner ce qui est nécessaire et refuser ce qui est insignifiant comme les honneurs ou la recherche d’un pouvoir éphémère lorsqu’il n’est pas fondé en Dieu. Nous pouvons prendre plaisir à paraitre, dans la superficialité du moment, mais il nous faut bien prendre conscience que nous aurons besoin de retrouver du sens par rapport à ce que nous sommes, et l’épreuve nous met face à l’urgence des réalités et à nos priorités. «Vanité des vanités disait Qohèleth. Vanité des vanités, tout est vanité ! » 1 La sagesse nous pousse à percevoir l’essentiel.

Si nous y regardons de près, certains chrétiens irakiens dans leurs témoignages disaient vivre de manière dilettante face à la guerre qui s’approchait, la guerre est pour les autres mais n’arrivera pas ici, lors de la prise de Mossoul, ils nous disent qu’ils ont, pris conscience d’un choix à poser et d’une réaffirmation de la foi à vivre pour retrouver le chemin de la communauté ecclésiale et de la prière. Dans nos sociétés occidentales, l’éparpillement des valeurs dans la superficialité de la mode et des idéologies en tout genre nous éloignent inexorablement de notre vocation d’image de Dieu appelé à la ressemblance. C’est le constat d’autres Eglises non européenne, qui voient la perte de transcendance pour le cynisme de l’apparence et ce qui est utile. « En occident de nombreux chrétiens ont une abondance de biens matériels, mais ils vivent dans un état de tiédeur. Ils ont de l’argent et de l’or, mais ils ne se lèvent pas pour marcher au nom de Jésus. » 2 Le tourisme spirituel de certaines personnes interroge : on passe de paroisse en paroisse sans être fidèle à une communauté, on change d’Église en Église, dans un vagabondage de la foi. On émigre d’une église capable de commémorer les défunts à un culte incapable de vivre la communion des saints. Et n’oublions pas l’invention de spiritualités ancestrales revues et corrigées dans une marchandisation culturelle abjecte 3 . La fluidité spirituelle, dans une recherche de foi correspondant à nos vies, sonne comme un refus de conversion et de transformation intérieure à opérer dans le Christ Jésus. C’est une vaine course idolâtrique d’une spiritualité adaptée à nos valeurs et, dans une contextualisation à outrance, on en oublie la radicalité de la Parole. Il y a bien une vanité idéologique dans le relativisme des situations pour distordre le sens profond des Ecritures et l’appel à la conversion. La propre glorification du changement, pour penser et agir autrement appelé paradigme, est un refus de l’appel des Écritures à aller au large et interroge fortement aujourd’hui. La foi se vit dans la tradition apostolique et l’accomplissement de l’esprit de la loi, et non un affranchissement de la parole à cause d’une culture particulière qui se veut ouverte et universelle mais se révèle si vaine. Quant à nous, l’appel à retrouver le chemin qui mène vers Dieu nous invite à fuir les suffisances de cette vie qui passe, pour nous enraciner dans ce qui est essentiel : le Christ notre Seigneur. « Que rien ne te trouble, que rien ne t’épouvante, tout passe, Dieu ne change pas,…Dieu seul suffit. » 4 La vérité de notre foi se fonde sur les Ecritures, et trouve dans nos actes le témoignage de la confiance en Dieu et la volonté de continuer l’œuvre de Dieu, chacun selon ses propres talents. Il s’agit alors de se recentrer. Quelle est la personne la plus importante dans ta vie, demandait-on dans un jeu que des adultes faisaient pendant la fête du nouvel an. La femme allait répondre « mon mari et mon mariage dans l’année » mais, un enfant répondit avant elle « ça c’est facile, la personne la plus importante c’est Dieu ». Parfois, les petits nous remettent dans une bonne échelle de foi et nous font revoir notre hiérarchie des valeurs dans une spontanéité, signe du Royaume à venir. Nous devons retenir cette facilité du choix, comme le dit le sage : « tout est vanité, hors aimer Dieu et le servir lui seul » 5 Se rendre disponible à la grâce demande alors de laisser toute forme d’orgueil pour accueillir la promesse du Salut et se conformer à la Parole de vie, source de tout bien.

1 Ecl 1,2
2 P 273 Citoyen du Ciel, Brother Yun EdB 2023
3 La spiritualité est américaine – Jean Marie Gueullette Cerf 2021

La précarité de la vie nous éclaire sur nos propres vulnérabilités et les choix cruciaux qu’il nous faut faire parfois entre des réalités fondamentales, par exemple la vie et l’absurdité de la mort, parfois la maladie, ou encore ce qui importe dans la hiérarchie des valeurs et la réalité des ruptures familiales. Tout cela remet en perspective notre véritable désir dans une soif de l’action de Dieu et un engagement à le servir. L’apparence des situations que nous avons pu connaitre, non sans satisfaction à ces moments précis, devient d’une vanité sans fond. La mort nous rappelle à l’essentiel : qu’est-ce que je fais de ma vie pour servir Dieu en toute chose ? « Vanité donc, d’amasser des richesses périssables et d’espérer en elles. Vanité, d’aspirer aux honneurs et de s’élever à ce qu’il y a de plus haut. Vanité, de suivre les désirs de la chair et de rechercher ce dont il faudra bientôt être rigoureusement puni. Vanité, de souhaiter une longue vie et de ne pas se soucier de bien vivre. Vanité, de ne penser qu’à la vie présente et de ne pas prévoir ce qui la suivra. Vanité, de s’attacher à ce qui passe si vite et de ne pas se hâter vers la joie qui ne finit point. » 6 Dans un monde en turbulence, des propositions aussi absurdes les unes que les autres, comme le choix de la beauté dans un musée des horreurs, entre la déliquescence bioéthique et le positionnement de l’accueil de la vie dès sa conception et l’accompagnement de la fin de vie, l’errance de la corporéité à travers la théorie du genre et l’idéologie perverse du féminisme, sans oublier de pointer les formes de violence sociétale. Un inventaire non exhaustif d’une gangrène de l’expression de surpuissance, parfois dans la satisfaction de sa propre performance technique et scientifique, nous font errer dans le désert de l’être, abandonnant les plaines de la liberté créatrice et féconde. Nous, disciples kérygmatiques, sommes appelés à redire la Bonne Nouvelle du Salut, en refusant toute forme de satisfaction dans le paraitre et redire que l’homme est image de Dieu, bénédiction de Dieu pour toute la création lorsqu’il est en communion avec son Créateur. On peut avoir en Eglise des opinions politiques différentes, des approches théologiques dissemblables, des façons de prier manifestement décalées, chaque messe du dimanche nous rassemble dans la communion des croyants, pour témoigner en artisan de paix ce qui fait notre attachement au Christ et à sa Parole, par une communion en communauté kérygmatique capable de se parler dans la diversité des personnalités et de témoigner de la vie de l’Esprit.

4 Thérèse d’Avila – œuvres complètes - Poème
5 L I, 24&7 imitation de Jésus Christ
6 L I, 1,&2 imitation de Jésus Christ

La place du premier serviteur de la communauté paroissiale doit être rappelée avec force. Le prêtre est un serviteur de la civilisation de l’amour, témoin d’une présence en lui, fruit de l’Alliance et de la fécondité. Il vit dans la gratuité de la relation, toujours attentif à l’autre et non centré sur lui-même, attentif au cri du monde et à l’approfondissement du dialogue avec Dieu. Il répond à l’appel dans la
disponibilité de son être en faisant confiance à la Parole et au souffle de l’Esprit « Qu’il me soit fait selon ta volonté ». Il n’est ni dans une course médiatique, ni dans un marchandage émotionnel mais dans l’accomplissement de la croix pour rayonner de la grande espérance de la résurrection. Ni collabo de l’esprit de ce monde, ni déserteur du beau combat de la foi, ni super héros, ni déterminé par sa vulnérabilité, il est enfant de Dieu, enfant de Roi. Il entre dans le temps de Dieu et participe à la communauté pour la rendre plus fraternelle, plus juste dans la vérité des Ecritures. Ce qui fonde le ministère est la rencontre du Christ, la réponse à son appel et la volonté de lui être fidèle par amour pour le servir jusqu’au bout. Tout le reste est vanité. –

Le vrai défi pour chacun d’entre nous est d’aimer en vérité, et non dans une course vaniteuse de performance spirituelle : à celui qui fait le plus de convertis, se met le plus au service de la charité, quand cela ne passe pas par l’évaluation de la qualité de prière et de son efficacité ! Oui la glossolalie, comme la manipulation hystérique des masses n’est pas signe de sainteté. La vanité se glisse dans toute chose si nous ne sommes pas vigilants en développant la vertu de prudence pour discerner ce que nous devons vivre et comment rendre témoignage de la présence de l’Esprit Saint en nous. La louange est une porte d’entrée dans l’accomplissement de notre vie spirituelle. Une expérience de décentrement de soi-même pour nous refonder en Dieu seul. « Car la création en attente aspire à la révélation des fils de Dieu : si elle fut assujettie à la vanité, … à cause de celui qui l’y a soumise, c’est avec l’espérance d’être elle aussi libérée de la servitude de la corruption pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu. » 7 La vocation de citoyen du Ciel, et nous le sommes, par les sacrements de l’initiation 8 , nous demande de fonder notre grande espérance du Salut sur l’humilité du cœur pour accueillir notre Seigneur. La liberté se vit en présence du Seigneur et dans la joie de sa grâce, pour agir en fonction de la volonté de Dieu et dans la ferme intention de lui rester fidèle. Tourné vers les fins dernières, nous désirons Dieu de tout notre cœur et de toute notre âme, dans une charité inventive pour vivre la communion en toute circonstance. Car c’est avec Dieu que la notion de liberté prend sens dans la recherche du meilleur bien, c’est-à-dire d’une communion d’amour pour l’éternité.

7 Rm 8
8 Baptême (et la grâce agissante), confirmation et eucharistie

Père Gregoire BELLUT – Curé –Doyen