En entrant dans l’Avent, pour une nouvelle année liturgique, il nous faut cheminer vers la révélation pascale en accueillant le Sauveur dès sa naissance. Noel est une fête pascale par anticipation. Et en continuant notre parcours sur les réalités du Ciel, il nous faut vivre le changement du regard, pour entrer dans cette dynamique de l’émerveillement avec un cœur pur pour contempler Dieu.

Or, la difficulté à regarder son frère avec bienveillance vient du péché et de la concupiscence du regard. C’est-à-dire, dans son for intérieur, s’apprêter à laisser ses instincts grégaires dans son propre besoin d’assouvissement sans maitrise de soi, ni une volonté clairement exercée dans l’obéissance de la foi. En quelques mots, une ignorance de notre vocation d’image de Dieu pour développer une pulsion animale dans une désagrégation de tout notre être. La convoitise du regard va de pair avec l’expression d’un désir intérieur qui se manifeste dans l’imagination, et qui ne demande qu’à passer à l’acte si nous ne mettons pas les garde-fous nécessaires. D’ailleurs les maladies psychiques sont en général, un franchissement des garde-fous pour tomber dans le pathologique, que ce soit la bipolarité, la schizophrénie, ou encore la paranoïa… (sans prétendre donner une liste exhaustive). Un profond clivage de notre manière d’être qui a des répercussions désastreuses sur notre âme et sur notre corps, aggravant un mal-être profond. Le regard enferme, c’est vrai, mais parfois il tue dans une dislocation de l’autre provoquant une déflagration dans l’équilibre psychique. Le harcèlement scolaire dont nous parlons tant, commence par une concupiscence du regard, dans un mépris de l’autre et une volonté d’humilier pour le plaisir d’asseoir son propre pouvoir ou sa domination dans le clan. Il nous faut lutter, par le jeûne et la prière, contre le désir désordonné qui aboutit à un regard d’exclusion et de suffisance de soi-même. La dignité humaine se vit concrètement pour nous, à travers la capacité à voir en l’autre un frère à aimer et à accompagner pour une meilleure vie dans la recherche du bien commun et d’une vie bonne en Dieu. Nous avons des gestes forts à poser pour témoigner de notre foi et refuser l’écroulement du lien fraternel Notre vie spirituelle se concrétise par des actes prophétiques et porte du fruit même dans le martyr, car nous travaillons pour le Royaume des cieux. Mettre Dieu en dehors de notre vie et de notre société nous conduira inexorablement dans un monde sauvage, sans âme mais avec un appétit féroce pour dévorer l’autre. Les tyrannies se sont bâties sur la concupiscence du regard et une vision tronquée de l’humanité. Seuls la méditation des Ecritures et l’accompagnement spirituel nous aident à progresser pour une plus grande fécondité dans l’appel baptismal à la sainteté et à la construction de la civilisation de l’amour. La vie du citoyen du Ciel est d’être artisan de paix dans l’annonce de l’évangile et le témoignage de vie pour une communion fraternelle toujours plus forte dans le souffle de l’Esprit. Une réunification intérieure passe par l’éducation du regard à la compassion pour être dans un juste rapport. « Heureux ceux qui pleurent ils seront consolés ». Le partage d’une humanité vulnérable par l’incarnation du Christ nous montre le chemin de la réalité humaine de la vie, et la vérité de l’amour qui s’expérimente vraiment. Il faut pleurer pour comprendre la joie de la consolation.

La concupiscence du regard fait partie des affres du péché originel, énuméré dans la lettre de saint Jean. Il faut avoir un regard de compassion dans la relation fraternelle et vouloir la communion pour bâtir un dialogue fécond. Refuser le péché nous ouvre à la fraternité d’éternité. Mais le regard peut être enfermant, d’ailleurs le Christ, dans le contexte du désir de la chair, le définit comme « l’adultère du cœur », c’est-à-dire voir l’autre comme objet. « Tout homme qui regarde une femme avec convoitise a déjà commis l’adultère avec elle dans son cœur. » Avant l’acte, le regard pousse à la faute, lorsqu’il est mal orienté. L’histoire de Saül nous montre le péché du regard qui entraine la mort de l’âme dans la brisure du lien fraternel. « Saül regardait David avec méfiance. Le lendemain, un mauvais esprit envoyé par Dieu s’empara de Saül qui fut saisi de transe prophétique au milieu de la maison. David jouait de son instrument comme chaque jour, et Saül avait sa lance à la main. Saül la lança en se disant : « Je vais clouer David au mur ! » Mais par deux fois David échappa à Saül. » Le changement de regard sur celui qui avait gagné contre Goliath entraver une pensée libre de rencontre, pour la jalousie du rang et la soif du pouvoir. Cela est aussi vrai dans nos communautés lorsque nous marchons ensemble, répondant à l’appel de l’Esprit, puis nous sommes comme happés par une rivalité maladive, souvent dans des regards envieux et inadaptés, oubliant que nous sommes d’abord au service du Christ et pour la construction de l’Eglise avant de faire notre petit commerce personnel. La personne au regard désaxé oublie de savoir si elle vit pour la communion. Les tensions fraternelles sont souvent dues à un manque de simplicité dans les rapports des uns avec les autres et une volonté de partage, qui est certes un chemin de résurrection mais connait aussi des croix et des renoncements.

 

Si nous reprenons, la convoitise du regard est le premier pas de la convoitise de la chair dans ce contexte précis. Comme le précise d’ailleurs saint Jean Paul II « L’adultère commis « dans le cœur » n’est pas inscrit dans les limites de la relation interpersonnelle qui permet d’identifier l’adultère commis « dans le corps ». Ce ne sont pas exclusivement et essentiellement ces limites qui décident de l’adultère commis « dans le cœur », mais la nature même de la concupiscence, exprimée dans ce cas-ci par le regard, c’est-à-dire par le fait que l’homme, que le Christ cite à titre d’exemple, « regarde pour désirer ». L’errance du regard est cette chosification de la relation pour ne voir en l’autre qu’un garde-manger pour nos propres désirs. La dimension du regard dans l’appel à la sainteté exige la maitrise de soi et la volonté de suivre le Christ. Le point faible est signifié par l’appétit sexuel, comme nous le rappelle justement l’évangile, mais nous ne pouvons pas arrêter la concupiscence du regard seulement sur l’aspect libidineux. De plus, si nous avons vu l’aspect du morcellement intérieur, il nous faut regarder aussi la nécessaire justice dans l’échange avec le prochain.

 

Le rapport à l’argent et à sa finalité doit être aussi entrevu sous l’aspect de la vertu de justice et d’un discernement prudentiel quant aux moyens nécessaires. La vertu de justice impose que nous ayons un juste rapport à l’aspect financier et que nous ne fassions pas de l’argent une fin. Rien ne sert de courir le meilleur salaire ou de demander à Dieu la fortune, car l’amour n’a pas de prix. Nous sommes invités dans la simplicité de notre vie à rechercher ce qui nous est nécessaire, et non à vivre dans la superficialité. « J’ai des difficultés avec l’enseignement sur la « prospérité » qui dit que si nous suivons le Seigneur nous serons en sécurité et dans l’aisance matérielle. C’est en complète contradiction avec les Ecritures et aussi avec ce que nous expérimentons en Chine. Suivre Dieu est un appel non seulement à vivre pour Lui, mais aussi à mourir pour Lui » Le témoignage de ceux qui vivent la joie de croire dans un pays de persécution nous invite à retrouver de la prudence face à ce que nous recherchons comme essentiel et à séparer la bénédiction de Dieu de l’aisance financière. La bénédiction de Dieu ne tient pas à la grandeur du poste, ni à l’évolution de la position sociale, ni même aux longues années. Carlo Acutis, comme Thérèse de l’enfant Jésus nous montre que dans une vie courte, la richesse de la relation à Dieu comble toutes les attentes. La joie du témoignage, par la disponibilité du cœur à l’instant présent, démontre une simplicité de vie, pas après pas, juste pour aujourd’hui. Chacun doit vivre un chemin unique de complémentarité de la grâce, et non pas être une pale photocopie de la grâce entachée de l’esprit de ce monde et des dévoiements proposés. De fait, Dieu nous demande d’être saint, et non d’être riche. L’un ne s’oppose pas à l’autre, mais la vraie prière est une vie ancrée en Dieu et dans l’accueil de sa grâce pour témoigner de sa foi. Ensuite le Seigneur utilisera ce qui nous est le plus favorable pour déployer notre vocation personnelle d’enfant de Dieu pour la liberté de l’amour.

Père Gregoire BELLUT – Curé – Doyen