« Braconniers de la foi »
« Braconniers de la foi »
L’annonce du kérygme demande la liberté de l’amour par la gratuité du don. La foi s’annonce dans l’audace de la rencontre du Seigneur, mais aussi dans la ferveur de proclamer le Règne de Dieu et la grande espérance du Salut. Dieu est amour, et, par cette vérité, nous entraîne sur un chemin de liberté pour Le choisir pour toujours. La prière est alors au cœur de notre vie en Dieu, et constitue la trame de notre engagement à l’écoute de sa Parole ; mais, pour la même raison, elle débouche inévitablement sur l’impériosité de l’annonce, dans un témoignage sincère de la vie dans l’Esprit et, de l’expérience des dons de Dieu par l’immensité de Son amour pour nous, pour moi, et pour chacune des personnes que je rencontre.
L’appel missionnaire pour témoigner du Christ auprès de mon prochain et faire des disciples, demande cependant beaucoup de prudence dans nos intentions. Il faut nous laisser guider par le souffle de l’Esprit et non par d’autres considérations, moins bonnes, et moins encore par des sortes d’instrumentalisations, comme si nous étions, ou devions être, des braconniers de la foi. Assurément, nous ne pouvons pas nous taire : c’est un Christ mort et ressuscité, et qui reviendra au dernier temps, que nous annonçons. Tel est le kérygme. Mais il ne peut pas être question d’évangile de prospérité, de son corolaire, la théologie de la libération ; pas non plus de culte de la personnalité ; pas davantage de nombre d’heures de prière et d’histoire de jeûne rigoureux, trop peu souvent ajusté ; moins encore, enfin d’une volonté propre ou, peut-être pis encore, d’idéologie : c’est, et ce doit être, la présence de l’Esprit Saint qui m’envoie annoncer le bonheur d’être aimé par Dieu, et de marcher dans la grande espérance du Salut.
Le braconnier, lui, ne se soucie ni de l’équilibre de la nature, ni même des réalités du terrain. Il chasse pour ses propres désirs : forme de brigandage de la nature pour assouvir des appétits obscurs. Tels sont dans la foi ceux qui choisissent de pareilles perspectives ; mais ils vivent alors une forme d’incohérence, ou bien se servent de la foi pour assoir leur pouvoir. Le risque de brigandage spirituel existe, et c’est toujours au moyen des mêmes points de vigilance qu’il nous faut tâcher de le dissiper. Faisons appel à du discernement prudentiel pour reconnaitre le mercenaire du bon pasteur ! Comment se vit l’autorité du Christ en moi et en mon frère, (notamment en pourchassant toute forme idolâtrique) ? Quel est mon rapport à l’argent et, surtout, la manière dont je m’en sers (est-ce une fin ou un moyen) ? En ce temps de carême, plus spécifiquement, nous pouvons nous interroger sur notre lien avec la communauté paroissiale et la volonté de faire Église, dans la disponibilité gratuite de notre temps et l’investissement dans la relation fraternelle. Enfin, posons-nous la question de savoir comment nous nourrissons notre foi dans la tradition de l’Église, par la science de Dieu et des Écritures, mais aussi par la participation aux activités qui nous font travailler la vie spirituelle à la lueur de la raison.
Cependant, la question première est et reste : pourquoi sommes-nous chrétiens ? Il nous faut inlassablement nous rappeler et rappeler à nos frères, que le Christ nous libère de toute forme d’enfermement, notamment, et avant tout, du premier type d’enfermement qui nous atteint : le péché. Comme le rappelle saint Paul VI « Comme noyau et centre de sa Bonne Nouvelle, le Christ annonce le Salut, ce grand don de Dieu qui est libération de tout ce qui opprime l’homme mais qui est surtout libération du péché et du Malin, dans la joie de connaître Dieu et d’être connu de Lui, de Le voir, d’être livré à Lui. »[1] La vie en Dieu demande de goûter à cette libération comme lieu de cohérence intérieure dans l’obéissance de la foi, et le refus du péché ; mais également d’un bonheur à redécouvrir sans cesse, dans toutes les possibilités nouvelles qui nous tournent vers Dieu, et ce dans un acte de louange et d’action de grâce. Être livrés à l’amour, c’est reconnaître que le souffle vient de Lui et nous sentir non seulement aimés, mais aussi rassurés dans la confiance en Sa Parole de vie. L’engagement est donc bien de connaître Dieu, dans l’apprentissage des Écritures et leur méditation dans notre cœur ; de nous laisser pétrir par la volonté de Dieu pour agir en enfants de lumière, et aussi de recevoir l’Esprit Saint et de l’accueillir dans notre vie comme un courant de grâce d’où jaillissent la vie en abondance, étanchant notre soif.
Alors, le zèle missionnaire se fait voir, apparaît et brille dans le témoignage de vie, et notamment par notre implication dans la vie de la cité, œuvrant pour la construction d’un monde meilleur, d’une civilisation de l’amour. Et comme le souligne saint Jean Paul II, c’est en Église, dans la participation active de chacun des baptisés, que nous sommes vraiment crédibles. « La première forme de témoignage est la vie même du missionnaire, de la famille chrétienne et de la communauté ecclésiale, qui rend visible un nouveau mode de comportement. Le missionnaire qui, malgré toutes ses limites et ses imperfections humaines, vit avec simplicité à l’exemple du Christ est un signe de Dieu et des réalités transcendantes »[2] Or, la recherche de sens dans la vocation de l’homme image de Dieu puise justement dans le témoignage l’annonce explicite d’un renouvellement de notre vie à la lumière du Christ. Nous partageons la vie de Celui qui nous nourrit, nous transforme et nous envoie. Nous rendons visible dans nos engagements la présence du Christ et nous partageons par notre histoire l’appel de tout homme à ressembler à Dieu, dans la volonté de Le suivre sur le chemin de l’amour.
La ferveur de la foi, redisons-le, demande un appétit des Écritures, une volonté non seulement de les apprendre, mais également de les connaitre, de les méditer tout au long de nos journées. L’Écriture est source de vie. « Il y a un rapport étroit entre le témoignage de l’Écriture, comme attestation que la Parole de Dieu donne d’elle-même, et le témoignage de vie des croyants. L’un implique l’autre et y conduit. Le témoignage chrétien communique la Parole attestée dans les Écritures »[3] Le témoignage, ainsi donc, est bien d’accueillir la réalité des Écritures dans notre vie ; et l’intervention de Dieu dans l’histoire des hommes est également une rencontre merveilleuse de Dieu dans notre propre histoire, notre propre vie. L’Écriture devient alors chant d’un bonheur en toute occasion, car Il est là, près de moi, comme Il l’a été de tout homme depuis le commencement. Il est mon berger, mon gardien, reste toujours présent à mes côtés et m’aide à continuer de recueillir tout ce qui est vie comme un don de sa grâce.
Ainsi, par ce chemin de sainteté à parcourir chaque jour malgré nos faiblesses et nos vulnérabilités et sûr de sa grâce, nous devons fuir les braconniers de la foi qui servent leurs propres intérêts et oublient d’annoncer la salut de Dieu dans la gratuité de sa présence parmi nous. Par le témoignage de notre vie, comme nous le rappelle le Pape François. « Le disciple sait offrir sa vie entière et la jouer jusqu’au martyre comme témoignage de Jésus-Christ ; son rêve n’est pas d’avoir beaucoup d’ennemis, mais plutôt que la Parole soit accueillie et manifeste sa puissance libératrice et rénovatrice. »[4] L’accueil de la Parole se voit, disons-le de nouveau, dans notre manière de nous comporter et de participer à l’œuvre de création : témoignage d’une libération du péché, d’une volonté de participer au royaume des cieux ; témoignage réellement possible et réellement causé, pour peu que nous nous laissions chaque matin renouveler, à l’écoute de la Parole et la laissions nous guider tout au long de notre journée.
Père Grégoire BELLUT -Curé – Doyen
[1] &9 Evangelii Nuntiandi, Paul VI
[2] &42 Redemptoris Missio, Jean-Paul II
[3] &97 Verbum Domini, Benoit XVI
[4] &24 Evangelii Gaudium, François