« Semaine sainte »

« Dès maintenant j’ai dans les cieux un témoin »

 

        Avec l’entrée en semaine sainte et l’attente de l’annonce de Pâques, nous voici pèlerins sur un chemin de foi fait de confiance en Dieu dans toutes les réalités de notre quotidien, de persévérance dans la prière pour lui confier les questions de notre cœur et d’audace dans le service de la charité, portée par une espérance invincible. La foi se reçoit, s’annonce, se vit. Les témoins des Rameaux et de la Passion sont appelés dans la réalité pascale à proclamer cette réalisation de la grande espérance du Salut. Dans le Christ, tout est lié à l’amour dans une relation complète du don à travers la gratuité du partage. « C’est lui qui nous a fait passer de l’esclavage à la liberté, des ténèbres à la lumière, de la mort à la vie, de la tyrannie à la royauté éternelle, lui qui a fait de nous un sacerdoce nouveau, un peuple choisi, pour toujours. C’est lui qui est la Pâque de notre salut. »[1].L’annonce du Royaume tout au long de l’évangile prends corps dans la passion et la résurrection, comme un signe efficace d’une parole de vérité. Nous quittons nos esclavages pour retrouver une cohésion de tout notre être à la ressemblance de Dieu.  Nous devons grandir dans cette intériorité de la foi pour porter du fruit et partager avec nos frères cette lumière qui vainc toutes nos ténèbres dans un éclairage de vérité vécu dans l’amour purificateur. Etre disciple du Christ nous demande d’en témoigner et de faire nous aussi des disciples à la suite de notre maître.

 

Néanmoins, il y a bien une conversion du cœur à effectuer, pour refuser d’être le tyran et se rendre disponible dans la royauté éternelle en serviteur fiable. Dans le mystère douloureux, la méditation de la flagellation de Jésus fait écho à notre propre positionnement : suis-je celui qui flagelle, ou celui qui est flagellé ? Et tout notre être peut chanceler dans ce questionnement de fond où se pose la question de la souffrance et de notre propre responsabilité. Or, retrouver l’eau de notre baptême et entrer dans ce peuple de la longue marche vers la vie du Royaume nous poussent à vivre des transformations pour nous laisser modeler par le souffle de l’Esprit. La contemplation de la vie du Christ est une école de vie. « Le Seigneur, étant Dieu, revêtit l’homme, souffrit pour celui qui souffrait, fut enchaîné pour celui qui était captif, fut jugé pour le coupable, fut enseveli pour celui qui était enseveli. »[2] De fait rien de ce qui est humain n’est étranger à Dieu, hormis le péché. A nous d’être acteurs d’une foi qui se reçoit, d’être témoins d’un amour qui se vit, d’être prophètes de la grande espérance du Salut. Nous entendrons l’appel de Dieu comme un chemin de sainteté. La sainteté pour tout chrétien est une prescription baptismale comme le rappel le concile. « Aussi dans l’Église, tous, qu’ils appartiennent à la hiérarchie ou qu’ils soient régis par elle, sont appelés à la sainteté selon la parole de l’apôtre : « oui, ce que Dieu veut c’est votre sanctification »[3] Accueillir le quotidien en entrant par la porte de la semaine sainte, c’est retrouver la vocation de l’homme dans sa vulnérabilité et sa souffrance et s’attacher au Christ, modèle de vie.

 

L’appel à la sainteté n’est donc pas exempt de la condition humaine et de la vulnérabilité de notre être, mais rappelle qu’en toute réalité humaine Dieu est présent. « C’est en face de la mort que l’énigme de la condition humaine atteint son sommet. L’homme n’est pas seulement tourmenté par la souffrance et la déchéance progressive de son corps, mais plus encore, par la peur d’une destruction définitive. »[4] Le débat sur l’euthanasie ou la fallacieuse expression lexicale d’aide à mourir, couvrant une même réalité dans une hypocrite distinction, nous montre la peur de la mort et la volonté de mettre la main sur le dessein de Dieu. C’est choisir une certaine forme d’indépendance dans la folie d’un éloignement du commandement du Dieu le plus important pour notre société, « Tu ne tueras pas », qui se révèle dans la violence mimétique de Caïn sur Abel : « Qu’as-tu fait de ton frère ? » Toute tentative technique de nous éloigner des hasards de la vie et d’un passage déterminé vers la mort est une impasse infernale vers le non-sens, loin de Dieu, là où il y a des grincements de dents. La réalité de la souffrance est aussi une étape vers l’oblation à Dieu de notre vie dans une recherche d’humanité toujours première, notamment à travers la relation et l’accompagnement dans l’obligation morale de prendre soin par une présence aimante. La corrélation entre l’euthanasie et la presque disparition des soins palliatifs dans tous les pays qui ont voté cette loi de la culture de mort, offre un clivage inextricable de la fraternité et fragmente la confiance dans la relation du prochain et, par conséquent, en Dieu. Cette loi du plus fort contre le plus faible fragilise le pacte social et met un terme à plus ou moins longue échéance à la capacité de vivre ensemble. A contrario lorsque la cohésion sociale se vit alors le respect de la dignité humaine et l’impératif de la fraternité en sont le ciment. « Plus la solidarité avec les personnes les plus fragiles progressera, plus notre pays avancera sur un chemin renouvelé de fraternité, de justice, d’espérance et de paix »[5] Sans cesse nous devons l’affirmer avec foi et persévérance.

 

Pourquoi donc passer par la passion pour accueillir la résurrection ? Peut-être pour nous apprendre à accueillir le don de Dieu en toute circonstance et comprendre que la rédemption nous demande un changement de vie et un engagement à vivre en communion de plus en plus forte avec Dieu et, en Eglise, avec nos frères. Cela doit passer par des actes concrets dans les rencontres et les actes de charité. La croissance et la fécondité de nos relations comme fils de Dieu appelés à la ressemblance, ainsi que l’accueil de la promesse de la vie éternelle sont une réalité tangible qui s’exprimera par l’amour que nous aurons les uns pour les autres. À partir de cela nous pourrons entrer dans la joie de Dieu réalisant la promesse de création que nous retrouvons dans les paraboles du Jugement dernier. « ‘Entre dans la joie de ton maître’. Bien que la joie de l’éternelle béatitude entre dans le cœur, le Seigneur a préféré dire : ‘Entre dans la joie de ton maître’, pour faire comprendre mystérieusement que cette joie ne sera pas seulement en lui, mais qu’elle l’enveloppera et l’absorbera de tous côtés, qu’elle le submergera comme un abîme infini. »[6] Que ce temps mystérieux de la Passion et de la résurrection soit l’occasion pour chacun d’entre nous d’expérimenter cet appel à la sainteté dans la pleine communion de la vie en Dieu, et que nous puissions en rayonner par notre vie dans tous les actes que nous posons. « Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela pour entrer dans sa gloire ? »

 

 Père Grégoire BELLUT -Curé – Doyen

[1] Homélie de Méliton de Sardes sur la Pâque

[2] Homélie de Méliton de Sardes sur la Pâque

[3] &39 Lumen Gentium – Vatican II –1 Th 4, 3 ; cf. Ep 1, 4

[4] &18 Gaudium et Spes – Vatican II

[5] Déclaration de Lourdes du 19 mars 2024 CEF

[6] Saint Bernardin de Sienne