L’orgueil signe d’aliénation
La liberté de l’homme se vit dans l’amour et se concrétise dans la vérité des actes posés pour construire une relation vivifiante avec Dieu, avec nos frères et avec nous-mêmes. L’écologie intégrale rappelle cette cohérence. Nous avons vu que la liberté demande un choix qui se vit dans une expression interpersonnelle où tout est lié dans un ensemble qui se veut être cohérent. Mais l’une des premières
aliénations se vit dans l’orgueil, un vice qui perturbe la relation de l’homme et entrave sa liberté.
L’orgueil s’oppose à la droite raison et provoque un dérèglement dans les justes choix à effectuer. Il y a une forme d’emprise sur la liberté par la perversion des choix en instrumentalisant la connaissance dans une orientation perverse. « Alors, Dieu vous a vraiment dit » 1 La mise en place du soupçon pour entraver les choix et les orienter. C’est une forme de manipulation. Le soupçon désoriente nos connaissances et peut nous fourvoyer, si nous n’avons pas la foi vissée au corps et la volonté de progresser avec le Seigneur dans la splendeur de la vérité par des choix courageux pour un meilleur bien. Rien n’est pire que de soupçonner, car on n’affirme rien et, pourtant, on suspecte tout. Comment, dans de telles circonstances, opérer un acte libre : n’est-il pas lui-même un conditionnement ? Terrible épreuve, dont la Parole de Dieu et la volonté ferme de suivre les commandements du Seigneur nous soulagent en choisissant de nous rendre disponibles à la grâce et d’être à l’écoute de l’Esprit Saint.
L’emprise exercée par le Tentateur, symbolisé par le serpent, est décrite dans le récit comme une forme d’instrumentalisation : il se fait ami pour pervertir. « L’orgueil peut par excès s’opposer à la fois à la magnanimité 2 et à l’humilité » 3 L’orgueilleux trompe ainsi la liberté en orientant ses choix dans une forme d’idéologie souvent stérile et toujours personnelle. Mais, dans la répétition des choix qui oppressent, on peut parler d’aliénation. Voilà pourquoi l’orgueil doit être compris comme une instrumentalisation de la vérité et, dans tout acte, un travestissement de la vérité. « Vous ne mangerez d’aucun arbre du jardin ? » En apparence une question amicale, pour qu’on se laisse prendre dans la toile du péché. Il n’y a ni bienveillance dans la position orgueilleuse, ni même une recherche de simplicité dans le rapport fraternel, mais une quête incessante à paraitre sans vulnérabilité, une volonté d’induire l’autre en erreur, dans une recherche autocentrée.
1 Gn 3,1 2 Agir de façon désintéressée, avec indulgence et bienveillance 3 ST II/II Question 162 art 1 solutions 3 Thomas d’Aquin p 920
Or la réponse de l’orgueilleux serpent fait miroiter des splendeurs d’éternité alors que nous possédons par héritage la promesse du salut et le bonheur infini d’être en communion avec le Créateur et nous émerveiller de la relation avec Dieu dans la louange et l’action de grâce. C’est un appel à la confiance qui est alors abimé par la convoitise première d’être en dehors de nos réalités. « Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront, et vous serez comme des dieux, connaissant le bien et le mal. » 4 Le double mensonge vient du fait d’effectivement mourir à cause du péché, nous dit l’auteur de la Genèse, mais encore d’ouvrir nos yeux, non sur l’illusion d’être comme des dieux, mais sur la réalité de notre propre vulnérabilité dans la fragilité du créé. Celle-ci est symbolisée ensuite par une feuille de vigne pour masquer notre faiblesse humaine à l’endroit le plus sensible qu’est la sexualité. Y a-t-il eu un choix libre, ou une forme d’aliénation, dans la compromission de la vérité à travers les approximations et les mensonges ? La question se prolonge aujourd’hui sur les
choix de société et sur les événements qui se passent dans le monde, lorsque nous oublions d’avoir un regard bienveillant, avec une vue d’ensemble pour comprendre les tenants et les aboutissants. Il nous faut fuir les situations de mensonge, comme les compromissions sur des enjeux importants, qui peuvent nous couper de Dieu. N’y a-t-il pas des formes d’aliénation dans les informations répétitives qui
formatent les modes de pensées et réorientent des choix civilisationnels profonds ? Dans l’impossibilité de trouver du temps libre, en perte de sens dans les propositions toujours plus nombreuses, avons-nous vraiment encore des libertés, ou sommes-nous dans l’occupationnel aliénant ?
La tentation du serpent fait perdre la relation naturelle de l’homme à Dieu, et entrave la juste relation dans une liberté malade. Il ne s’agit même pas de liberté partielle, mais d’un détournement de l’amour d’éternité, pour une forme d’iniquité d’une vie sans Dieu. On peut ainsi parler de déni de la liberté dans une vision incorrecte de la dignité de l’homme manifestée par la promesse d’Alliance, comme image de Dieu. Inversement, dans la vie de l’Esprit, nous devons regarder l’urgence d’une vie intérieure qui ait du sens, et retrouver les exigences de la loi, pour accueillir la grâce et hériter de la plaine liberté des fils de Dieu, dans nos choix de vie et notre vocation de Fils de Dieu et de frère de Jésus. Sans vie intérieure, nous perdons l’espace de liberté nécessaire à l’orientation de nos choix. Nous en oublions la nécessaire vie fraternelle dans l’éparpillement de nos désirs, ce qui nous barre la vie de charité auquel nous sommes appelés. C’est là, un autre signe de l’égarement d’une liberté non-ajustée.
Certes l’on peut comprendre l’orgueil comme un manque d’humilité et, plus prosaïquement, de simplicité de vie, mais dans les choix que nous devons opérer, l’orgueil aiguille notre intelligence vers le mensonge et un choix déconnecté des réalités. La première manifestation de l’orgueil est d’avoir mis la distance avec la Parole de Dieu. « L’orgueil s’oppose à l’humilité. Or l’humilité concerne la sujétion de l’homme à Dieu… C’est d’abandonner Dieu… L’orgueil se montre à ce que l’homme… ne se soumet pas à Dieu… l’orgueil est toujours contraire à l’amour de Dieu » 5 C’est en cela que l’homme blessé perd la dimension de la liberté pour choisir l’aliénation dans un refus de recherche du bien commun pour satisfaire des intérêts particuliers. En l’occurrence, on prend toujours des cas d’espèce pour justifier les positions sans tenir compte d’une cohérence de l’ensemble d’une part, ni de la contextualisation d’autre part permettant diverses réponses. Or, dans la communauté ecclésiale et la vie de prière fraternelle, nous
devons rappeler le chemin qui nous mène à la Vérité, c’est-à-dire au Christ, et retrouver cette liberté de croire en accueillant la volonté de Dieu, et non pas en l’instrumentalisant.
4 Gn 3, 4b-5
Nous avons vu que l’orgueil entrave la liberté, dans le soupçon et l’instrumentalisation de la Parole à travers une forme de mise à distance de la Parole éternelle. Vouloir mettre Dieu en dehors de notre vie, c’est mettre de la distance dans nos relations fraternelles. Car l’un n’est pas sans conséquence sur
l’autre. Les choix libres posés sont marqués par la vie en Dieu et orientent nos désirs non sur ce qui est utile, mais sur l’essentiel, et tout ce qui a du sens pour la croissance humaine et l’enrichissement de la vie spirituelle. L’autre part de l’orgueil dans sa forme d’aliénation, c’est de nous proposer des choix qui
entrainent des mensonges et nous enferment dans la désespérance à cause d’un marché de dupe. Parfois cela peut passer par une forme de cynisme décalé. Il nous faut toujours témoigner de la vie en Dieu avec un cœur pur, c’est-à-dire contemplatif de Dieu, et la sagesse de nous tourner vers Lui pour dialoguer avec confiance. « L’humilité est la disposition pour recevoir gratuitement le don de la prière : L’homme est un mendiant de Dieu » 6
Père Gregoire BELLUT -Curé – Doyen