Qu’est-ce que la liberté ?

Beau programme de dissertation philosophique, que de parler d’une définition de la liberté. Or la foi nous dit deux choses. L’une est l’affirmation significative que « Dieu est amour » et nous invite à partager cet amour avec les autres dans un choix responsable, c’est-à-dire la construction d’une fraternité pour maintenir la communion entre frères. La liberté est donc la fécondité de l’amour dans les choix de vie. L’autre affirmation des Écritures est proclamée par le Christ « Je suis le chemin, la vérité, la vie ». Ainsi la Parole de Dieu est vie pour l’homme et nous trace un chemin dans notre histoire pour nous faire grandir en communion avec Dieu. La liberté est l’expression de la vérité dans l’amour qui demande une cohérence, un chemin intérieur pour continuer dans l’axe du meilleur bonheur afin de trouver son plein épanouissement et d’œuvrer pour la vie, premier exercice de l’amour dans les choix que nous posons. Le Christ, en nouveau législateur (et pourtant le même), illumine notre vie d’une loi nouvelle où la liberté d’amour atteint sa perfection dans la vérité de nos actes et l’imitation de la vie du Crucifié ressuscité. La liberté demande donc un ordre moral, même si cela parait être un gros mot aujourd’hui. La conscience d’être à l’image de Dieu passe par l’imitation du Christ et sa loi de liberté.

On peut ainsi dire que la liberté est prolongement de l’amour, dans nos choix de vie comme une cohérence de tout notre être. L’aliénation réside dans une incohérence de nos choix nous clivant dans des positionnements idéologiques ou utilitaristes, pour nous réduire à un tas de rien dans le mensonge
de nous-même et le refus de la fécondité ainsi que de la fraternité. C’est pourquoi nous pouvons affirmer que la liberté est en lien avec l’amour, dans la responsabilité de nos choix et de la fraternité. Jusque-là, nous sommes très généralistes et nous ne voyons pas trop l’implication dans notre vie. Mais la vision d’une liberté interpersonnelle implique alors que nos choix orientent notre vie et ont une incidence dans nos rapports fraternels. Ainsi le cri de nos adolescent, « je suis grand, je fais ce que je veux » dénote un rapport erroné à la liberté. Comme la revendication du tatouage, des scarifications et, plus grave, de
l’avortement : « c’est mon corps, c’est mon choix », est une erreur de compréhension dans un dévoiement de la liberté de qualité. Nous rencontrons d’ailleurs cette déviance dans certains discours, comme « je ne peux pas obliger mon enfant à aller au catéchisme, ou à la messe », ou encore « c’est à lui (c’est à elle) de choisir », comme si la liberté ne s’éduquait pas et n’appelait pas à la responsabilité ! « Nous pourrions facilement nous illusionner si nous pensions déjà que « nous sommes une personne complètement unifiée » Il reste toujours à lutter contre la concupiscence du moi… qui demeure caché en quelque coin obscur de notre être » 1 La liberté ne peut être dans un moi tout-puissant et finalement destructeur, mais dans un partage de vie à travers l’expérience humaine, le discernement prudentiel et la volonté d’avancer ensemble sur un chemin de communion pour construire la civilisation de l’amour.

Le deuxième point à redéfinir, c’est que l’expression de mon choix ne peut être en autarcie. C’est l’exemple des partisans de l’euthanasie : « je veux qu’on puisse faire ce choix, et je respecte les autres choix, mais je veux être respecté dans les miens, je suis le seul juge de ce qui est bon pour moi ». Comme si le choix à poser était relatif à la personne, et n’impliquait pas toute personne dans sa fraternité. Il ne peut pas y avoir de relativisme dans la liberté. D’ailleurs la liberté questionne sur la norme, c’est l’attaque des incroyants qui refusent la loi de Dieu et se font une loi déconnectée parfois des réalités humaines, ce qui est une forme de perversion idolâtrique, n’ayons pas peur des mots. Le respect est-il une consécration du choix de la personne, qui peut être une forme d’aliénation régressive ? Le respect n’est-il pas d’abord un désir de croissance de l’autre dans sa responsabilité de transmettre la fraternité ? La liberté se vit dans la dignité de l’amour et le respect de la vérité, comme lieu de croissance de la personne
humaine et d’écologie intégrale.

Une fois les points soulevés, il reste que la liberté est l’expression responsable de l’amour pour une fécondité de vie. Dieu est amour, un et trine, il dit la relation nécessaire à l’amour dans le don qui se reçoit, se vit et se partage. Si Dieu a créé l’homme libre, c’est pour le faire grandir en humanité et lui laisser trouver sa place et la fécondité de sa vie. « Soyez féconds et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez-la. Soyez les maîtres des poissons de la mer, des oiseaux du ciel, et de tous les animaux qui vont et viennent sur la terre. » 2 L’axe de la liberté de l’amour se vit dans la fécondité et le signe et la croissance, la volonté de connaitre toute la terre et d’en accueillir les réalités, pour travailler à l’œuvre de Dieu. Par rapport au vivant, poissons de la mer, oiseaux du ciel et tous les animaux terrestres, il faut occuper une juste place avec une autorité en adéquation avec les besoins de chacun. La liberté est une résonnance de l’amour qui implique la responsabilité de croissance, de connaissance et de complémentarité dans la relation. La multiplication de la création est le signe d’une fécondité qui se vit, qui se vérifie comme une source de bénédiction dans le prolongement de l’œuvre de Dieu. Quant à remplir la terre, il y a bien une liberté à occuper les espaces pour redire le choix de l’amour. L’autorité est liée à la liberté ainsi qu’à la fécondité et la connaissance, pour avancer dans l’œuvre du Salut et être co-créateurs de la création.

1 P 257Libre dans le Christ, Bernhard Haring
2 Gn 1,28

La liberté est aussi l’expression d’un amour qui se partage, qui se dit entre personnes, et l’interdit est là pour nous apprendre à trouver cette juste distance dans un discernement prudentiel. « Tu peux manger les fruits de tous les arbres du jardin ; mais l’arbre de la connaissance du bien et du mal, tu n’en mangeras pas ; car, le jour où tu en mangeras, tu mourras. » 3 L’interdit (inter – dit) est une relation de l’amour responsable qui se vit dans la vérité de notre être. Cela va à l’encontre d’une liberté-libertaire, qui se définit par « c’est mon choix, respectez- le en ne vous y opposant pas ». L’on voit bien dans ce jargon un peu surprenant qu’au nom du respect, tout peut être dit. Le meilleur moyen de contrer de pareils arguments, c’est de changer la proposition par un interdit fondateur pour nous, le meurtre ou l’inceste, et de voir ainsi qu’il y a un certain sophisme, pour ne pas dire hypocrisie, dans la volonté de s’affirmer comme seule référence d’un choix qui implique toute la relation fraternelle.

Nous sommes chrétiens et la liberté n’est pas une idéologie, mais la rencontre avec le Dieu d’amour et la connaissance du Christ ressuscité nous appelant à entrer dans la vie avec Lui pour toujours. L’orgueil est un frein titanesque à l’expression de notre choix du bonheur. Une déclinaison de l’orgueil, sous une forme utilitariste assez égoïste, serait de ne voir la vie que par rapport à ce qui nous est utile et non ce qui a du sens, oubliant par là-même le bien commun. Le paradoxe est alors de se dire libre et de s’aliéner davantage. Non tout ne peut pas se dire, non tout ne peut pas se vivre, non tout ne peut pas être accepté, car la liberté de chacun est l’expression d’une interdépendance qui recherche la fraternité dans un bien commun à partager au cœur de la cité. « Aucune loi humaine ne peut assurer la dignité personnelle et la liberté de l’homme comme le fait l’Évangile du Christ, confié à l’Église. Cet Évangile annonce et proclame la liberté des enfants de Dieu, rejette tout esclavage qui enfin de compte provient du péché » 4 Il nous faut retrouver le chemin qui nous mène au Père. Demandons au Seigneur de nous accompagner sur ce chemin de croissance dans le souffle de l’Esprit pour témoigner de la vie de Dieu dans tous nos choix et dans une conversion à concrétiser pour ne pas nous laisser séduire par les tentations du Diable. Être témoin, c’est s’engager dans une liberté de qualité qui reconnait la dimension fraternelle de nos choix, reliés à l’amour de Dieu toujours premier dans notre vie.

Père Gregoire BELLUT -Curé – Doyen

3 Gn 2,16-17
4 &41/2 Gaudium et Spes – Vatican II