« Je vous salue Marie, pleine de grâce »

La salutation de l’ange à Marie, connaît un problème de traduction dès le premier mot. L’ange a probablement donné à Marie la salutation hébraïque « shalom », signifiant « paix ». L’évangile transmis en grec nous dit donc « Kaire », la joie, et la traduction latine donne le mot « ave », pour « salut ». Si nous devions le dire dans notre langage vernaculaire, ce serait « bonjour ». A chaque fois c’est bien une salutation, mais entre souhaiter la paix, la joie, le salut et un bonjour, il y a tout un nuancier culturel et spirituel.

En continuant l’Ave maria, on réajuste le terme de « favorisée » par « pleine de grâce », que l’on a modernisé en « comblée de grâce ». Personnellement je n’aime pas « comblée », car j’ai l’impression de mettre la main sur Dieu et sa puissance d’action. Lorsque l’on comble, c’est rempli au point de ne pouvoir y ajouter autre chose, alors que ce qui est plein peut déborder, car Dieu continue toujours de donner. C’est une vision personnelle, même si nous disons dans les deux termes la même chose : Marie a reçu pleinement la grâce du Seigneur et a eu toute sa faveur, ce qu’elle confirme d’ailleurs par le Oui à son appel. Dieu est toujours premier et sa grâce fait de l’effet, mais Il attend toujours une réponse de notre part pour entrer dans le dynamisme du don qui nous fait découvrir la gratuité de l’amour jusqu’à l’oblation.

Or, justement, la grâce est l’accueil du regard bienveillant que Dieu pose sur notre vie, une bénédiction de sa présence qui nous donne de vivre pleinement la joie et, en même temps, l’expression de sa miséricorde qui vient au secours de nos faiblesses pour nous redresser et nous donner la force du repentir pour marcher sur le chemin du Salut. Alors nous chantons ses louanges pour les merveilles qu’Il fait dans notre vie car « le Tout- Puissant a fait pour moi des merveilles, saint est son Nom. » Dieu se célèbre et nous lui rendons l’action de grâce par excellence, c’est-à-dire le sacrement de la charité, autrement dit l’eucharistie.

Mais l’action de grâce nous fait expérimenter le souffle de l’Esprit Saint et l’accueil d’une réalité qui nous épanouit, à vivre par la disponibilité de notre histoire. Cruelle question des juges à sainte Jeanne d’Arc : « es-tu dans la grâce ? » Or celle-ci, mue par l’Esprit Saint, récuse le piège de répondre oui, au risque de s’entendre dire orgueilleuse, ou non, pour convenir qu’elle n’œuvre pas pour Dieu. Elle répond avec sagesse
« Si je n’y suis pas que Dieu m’y mette, si j’y suis que Dieu m’y garde »
c’est un appel pour chacun d’entre nous à rechercher la présence de Dieu, dans notre vie et dans les choix que nous posons, pour lui faire confiance en toute chose. Oui, nous devons toujours garder Dieu au cœur de toutes nos activités et redécouvrir à chaque instant la joie de sa présence dans notre vie.
La grâce est déjà une anticipation de la grande espérance du Salut promis à ceux qui choisissent Dieu pour toujours.

Toute notre vie, l’Esprit Saint travaille dans notre vie pour nous rendre réceptifs à l’amour de Dieu et ordonner nos désirs à rechercher la communion. « La grâce sanctifiante est un don habituel, une disposition stable et surnaturelle perfectionnant l’âme même pour la rendre capable de vivre avec Dieu, d’agir par son amour. On distinguera la grâce habituelle, disposition permanente à vivre et à agir selon l’appel divin, et les grâces actuelles qui désignent les interventions divines soit à l’origine de la conversion soit au cours de l’œuvre de la sanctification. » Marie nous montre le chemin, où nous devons suivre le Christ et faire tout ce qu’Il nous dira, pour vivre notre vocation d’images de Dieu appelées à la ressemblance.

Or l’incarnation du Christ nous fait redécouvrir la grâce du corps dans l’œuvre du Salut, c’est d’ailleurs le thème des catéchèses du pape Jean-Paul II énoncées comme théologie du corps. Il parle de l’Homme dans le plan divin et de la grâce de l’appel à se conformer au Christ dans tous les états de vie. C’est pourquoi la théologie du corps est aussi une théologie de la grâce, car tout ce qui est dit à travers le corps comme prolongement de l’œuvre créatrice contribue à la belle harmonie de la création pour la joie de Dieu et le salut des hommes. « La préparation de l’homme à l’accueil de la grâce est déjà une œuvre de la grâce. Celle-ci est nécessaire pour susciter et soutenir notre collaboration à la justification par la foi et à la sanctification par la charité. Dieu achève en nous ce qu’il a commencé. » 2 La première conversion à effectuer est d’accueillir la grâce, ce qui est déjà pour certains un passage libérateur pour accueillir la promesse du salut. Marie, en mère aimante, nous accompagne sur ce chemin d’humanité en nous invitant à regarder le Christ notre Sauveur et à entrer dans la rédemption du corps. Alors nous pourrons avec elle nous émerveiller : « son amour s’étend d’âge en âge sur ceux qui le craignent. »

Père Gregoire BELLUT -Curé – Doyen