« Hérode va rechercher l’enfant pour le faire périr. »

(partie 2)

Le refus du dialogue avec l’autre est une forme de violence poignante, comme pour certaines lois sociales : pensons au délit d’entrave au sujet de l’avortement. Un refus de remise en question qui ne peut qu’interroger et paradoxalement entrainer un durcissement des positionnements ainsi qu’un clivage sur le pacte social en fracturant au passage la recherche d’un consensus. La civilisation de l’amour n’est pas dans l’à-peu-près, mais demande, à la lecture de la Parole de Dieu, de cultiver la vie et de témoigner de la grâce de l’Esprit dans les dons que Dieu nous donne pour la fécondité. Il n’y a pas de compromission avec le péché, mais la volonté de progresser dans la fidélité au Seigneur, chacun selon son rythme, avec persévérance et patience, avec un regard bienveillant qui aide à grandir.

Nous retrouvons ici un vieux mécanisme de domination, une sorte de compétition à vouloir garder sa place dans une relation qui n’est plus juste parce qu’elle n’accueille plus l’altérité. Il se gouverne dans la confrontation injuste et un refus d’égalité pour avoir toujours plus. Rappelons-le sans cesse, la place du plus vulnérable dans notre société, et de son respect, dit aussi notre humanité. En effet, le péché, à travers la violence, marque la proportion à vivre sans la réalité du frère et à refuser toute conversion principalement par avarice et cupidité. Or nous avons à rendre compte de la vérité dans les choix posés par amour et prendre conscience de soi à travers la générosité de nos actes et l’abandon à la divine volonté. « Il s’agit d’accéder toujours davantage à l’acte d’être une personne qui en est l’origine créatrice et qui se dépasse, se transcende dans l’action et la passion de son acte » 1 La Parole de Dieu et la relation fraternelle nous reconfigure dans la vocation d’image de Dieu appelé à participer à l’œuvre de Création. Lorsque nous transmettons l’amour de Dieu à nos frères et sœurs, nous laissons l’Esprit passer dans nos actes, et nous témoignons de cette passion de l’Evangile par nos vies.

Hélas, le péché à abimé notre capacité à vouloir en toute chose le bien, mais par notre baptême nous avons retrouvé le salut. L’humanité blessée attend son Rédempteur. L’amour est lieu de communion dans le don sincère de soi-même en vue d’une réalisation en Dieu notre Sauveur. Ainsi la faille de notre humanité est transformée par le Christ dans la Nouvelle Alliance, et son premier commandement, « tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta
force […] et ton prochain comme toi-même » 2 L’amour transforme notre vie en action de grâce envers Dieu notre Créateur et se vit dans la relation fraternelle comme signe manifeste de sa présence dans nos vies. Néanmoins, la vulnérabilité de l’homme suite au péché originel et dans sa conséquence immédiate d’une condition mortelle forme le refus de l’autre, et jette une lumière crue sur la capacité de nos actes à nuire. La mort signifie la précarité et déclenche l’envie insatiable de l’expérience de toute puissance menant inéluctablement à la futilité du moment. « Le péché est tapi à ta porte, c’est-à-dire au seuil de ta vie, là où sont tes limites, à ta naissance et à ta mort […]. L’interprétation rabbinique ajoute : […] la porte au seuil de laquelle le péché est tapi est aussi celle de la maison de l’étude de la Loi. » 3 Or la joie de la Loi dans la grâce est d’approcher de Dieu avec sérénité et confiance. Néanmoins le péché est défiance et il est un impossible à obtenir. Deux pôles, l’un pour l’éternité et la communion d’amour par une vie de grâce, l’autre pour l’enfermement et l’impossible de la relation à travers son expression la plus brutale, celle de la violence. Caïn entend la voix de Dieu et il est amené à errer, mais aussi à prendre conscience de ses actes, et à retrouver la juste distance avec Dieu dans la relation fraternelle, une marque le protégeant de sa propre violence et de la violence des autres instaure une frontière
d’être soi devant eux.

1 P 30, Personne et acte.
2 Mt 22,34.39

L’histoire de tout homme est d’abord à comprendre à travers les actes posés, et le contexte pour en saisir toute la portée. A travers l’éclairage des Saintes Ecritures, il nous faut discerner avec prudence et sans instrumentalisation la volonté de Dieu. Toutefois, si Hérode consulte bien les Écritures, et les sages, pour qu’ils lui disent  où va naitre le Messie, c’est dans une perversion spirituelle de détournement du bien, une volonté de crime avec rage, poussant à l’infamie de tuer tout enfant jusqu’à deux ans. Car, à partir de cet âge, l’enfant interagit avec ce qui l’entoure, commence à parler et à marcher, et prend sa place à travers la manifestation claire de sa volonté. Le refus de l’accueil de l’autre par Hérode, et la disproportion de son aveuglement dans une violence extrême et sordide, montrent le désaxement de toute une vie, et la politique du pire qui en découle. Un refus d’interaction avec le frère est un péché grave semant une culture de mort dans la béance de l’être. Refuser la volonté de Dieu conduit à refuser la volonté du frère, pour instaurer sa propre tyrannie. L’absence de curseur dans le relativisme, comme la contextualisation dévoyant le sens premier de la Parole de Dieu devient un péché contre l’Esprit Saint. L’expression de la
volonté du frère est un appel de l’Esprit Saint à vivre la communion à travers les possibles conversions.

La liberté se déconstruit dans le mal, et devient aliénation dans un bouillon de désirs contradictoires et de pulsions incontrôlées, pimentés d’un présent plus ou moins fantasmé. Une addiction dans la nuisance qui ne cherche plus la lumière de Dieu, mais ses propres intérêts. Le refus de l’accueil de l’autre comme frère opère une violence, comme le refus d’un dialogue pousse à l’exil. La violence aux périphéries de Jérusalem qu’est Bethleem, rappelle l’injustice des relations dans l’hypocrisie d’un meilleur bien qui a une portée individualiste, sans veiller au bien commun.

3 P 203 Théologie des droits de l’homme – J.F. COLLANGE

L’expression d’une volonté qui se veut bienveillante d’ouverture pour tous, sans en assurer l’exigence d’une progression commune vers la recherche d’un bonheur à partager pour chacun dans la réalité des moyens. On peut alors parler de naufrage dans la relation, par l’instrumentalisation des situations, et une forme d’inconscience, pétrie d’idéologie, à refuser de voir la réalité. Il y a bien une question de vérité de nos actes dans l’amour que nous voulons partager. Rien ne sert d’être dans le sentimentalisme ou la démission de la norme morale pour maintenir la relation : il y a bien un moment où nous devons prendre acte de nos différences et parfois de notre incapacité à la conciliation. L’appel de Jean-Baptiste à la conversion, à la suite de tous les prophètes, provoque chez beaucoup une prise de conscience de sa vie face aux commandements du Seigneur. C’est toujours actuel d’ailleurs, la Parole de Dieu et la vie dans l’Esprit Saint nous invite à la conversion du cœur. Hélas, Hérode refuse d’entendre raison, et agit au nom de son Royaume pour son propre pouvoir, dans l’inconséquence de ses actes et la tyrannie de ses désirs. Une mascarade de la lecture des Écritures, pour mieux orienter sa soif de pouvoir et d’idolâtrie allant  jusqu’à vouloir tous les tuer, afin de préserver son seul siège.

La recherche idolâtrique d’être « comme des dieux » entraine une violence insaisissable comme l’analyse le philosophe : « La violence souveraine erre parmi les hommes mais personne ne parvient à mettre durablement la main sur elle. Toujours prêt, en apparence, à se prostituer aux uns et aux autres, le dieu finit toujours par se dérober, semant les ruines derrières lui. Tous ceux qui veulent le posséder finissent par s’entre-tuer » 4 L’appel de Noël est aussi de nous ramener à la réalité de nos
désirs humains, qui doivent être évangélisés. Dans la dépossession d’un logement fiable, la Sainte Famille, comme les bergers errent pour trouver la richesse de la vie, de l’être même de Dieu, du Christ Sauveur. Ceux qui se prostituent à l’avoir ancrés dans leurs certitudes se sclérosent dans une forme d’hypocrisie souvent inhumaine. La mort des saints innocents rappelle l’absurdité du mal, et la capacité pour l’homme de refuser l’alliance avec Dieu. Nous sommes tous des Hérodes en puissance, lorsque nous refusons l’action de Dieu dans notre vie, ou que nous ne voulons pas nous
convertir au nom d’autres intérêts ; autrement dit, lorsque nous affirmons, consciemment ou inconsciemment, que nous avons absolument raison, et que les autres doivent ratifier nos positions hasardeuses ou nos choix discutables au nom d’une liberté mal éduquée.

La réalité du mal, et de son auteur, Satan, ne nous déresponsabilise pas de nos propres actions, et demande à chacun d’entre nous une vigilance de tous les instants. Ainsi avons-nous la Parole de Dieu. Elle éclaire notre chemin d’humanité au moyen du rayonnement d’un amour éternel et d’un appel à la communion avec Lui. La prière est chemin de dialogue afin de nous faire progresser dans la connaissance avec Dieu dans la fidélité à sa Parole. La vie sacramentelle et le
service de la charité sont autant d’outils pour nous faire progresser dans la vérité de l’amour. Grandir en sa présence, c’est aimer dans la gratuité du don jusqu’à l’oblation de tout son être, pour se conformer à la croix du Christ et vivre dans l’Incarnation la Résurrection.

4 P 470 De la violence à la divinité – op cite

Père Gregoire BELLUT -Curé – Doyen