Donne-moi à boire
« Donne-moi à boire »
L’autorité du Christ se vit dans notre histoire comme un appel au Salut, et non comme un fardeau. La grâce du repentir est une joie de communion, un bonheur de la rencontre afin d’être abreuvés pour l’éternité, et non le passage d’un instant fugace et sans avenir. Il nous faut donner de la place aux possibilités de changement et accueillir les changements de cap à la suite du Christ comme un chemin d’espérance, sans enfermer chacun dans son histoire et le contexte particulier de son épreuve. Retrouver l’audace de la Parole de Dieu, qui laboure en nous, demande d’accepter les changements pour une meilleure fécondité. Le pardon n’est pas un concept intellectuel, mais une réalité vécue à travers l’amour que nous pourrons vivre dans la vérité de l’être. Cela demande parfois du temps et de l’espace pour retrouver les bons repères.
Or, la conversion que nous devons vivre dans ce temps du désert en route vers Pâques demande la vertu de force et la persévérance du courage. « Le courage nous permet de nous dépasser soit dans des situations extrêmes, soit de continuer tout simplement à être nous-mêmes au jour le jour. »[1] Il ne faut pas nous enfermer, mais au contraire admettre les possibilités de changement, accueillir les nouveaux actes avec bienveillance et nous ouvrir à d’autres réalités, celle de l’amour de Dieu et du frère, dans une recherche de communion authentique. Nous ne sommes pas esclaves de nos histoires et, si le droit n’est pas toujours juste, la justice demande d’être passée au crible de la miséricorde pour être vraiment dans la paix. C’est une démarche d’humilité, dans notre histoire et l’histoire de l’autre, pour accueillir ce désir de Dieu au plus profond de notre être et recevoir la source d’eau vivre qui nous régénère dans l’alliance éternelle. Alors, « si vous ne l’avez pas encore fait, ouvrez-vous avec humilité et avec confiance au repentir : le Père de toute miséricorde vous attend pour vous offrir son pardon et sa paix dans le sacrement de la réconciliation. »[2] Le courage consiste à reconnaître ses faiblesses, changer de vie et adopter un nouveau rapport avec nos frères, dans la reconstruction d’une civilisation de l’amour.
En effet, la conversion est bien de cet ordre-là : vivre la radicalité de l’amour lorsqu’il nous faut être prophétiques par nos choix de vie et, dans d’autres occasions, continuer dans la vie quotidienne d’être des gens ordinaires dans l’extraordinaire amour divin. C’est un engagement à suivre le Christ en toute occasion et, nous le savons bien, les événements exceptionnels sont par principe inhabituels. La traversée du désert s’effectue dans les 40 jours précédant les tentations que le Christ connaît. C’est un temps de désert où rien ne se passe, sinon le temps immuable d’un jour qui ressemble à un autre, dans la pénitence du corps et l’effort de la volonté pour dompter ce qui ne nous fait pas grandir et aller à l’essentiel. Jour après jour dans un quotidien qui se ressemble, il s’agit d’être fidèle jusqu’au bout, dans les moindres petit gestes, d’aller puiser de l’eau pour s’abreuver dans une vie sans entrain avec l’impression parfois de se désolidariser des gens de la cité, qui sont pourtant nos frères… tant bien que mal…
Néanmoins la conversion est aussi l’espace de la rencontre, soit pour étayer notre foi face au Tentateur en rappelant les Écritures, soit face au Christ pour accueillir les changements nécessaires à notre vie, et faire sienne sa Parole afin d’en témoigner dans toute la Samarie et jusqu’aux extrémités de la terre. Derrière l’appel du Christ à la Samaritaine « donne-moi à boire », se situe toute la question d’un Dieu qui veut se donner à l’homme et attend de lui une réponse. « Si tu ne me remets pas ce que tu es, comme tu es, je ne peux rien te donner de ce que je suis… Jésus se donne, s’approche pour nous transformer en Lui. »[3] Ce temps du désert, est celui de la rencontre avec ceux qui passent par-là, errant sur nos terres humaines, dans une migration des sens pour rechercher l’être et un dialogue qui va à l’essentiel, dans une générosité qui s’impose face à l’hostilité de la nature.
Ainsi pour nous, comme la traversée du désert pour la terre promise, la civilisation de l’amour demande la fidélité de l’engagement dans le temps et cette continuité de vie intense avec la Parole, comme lieu de ressourcement permanent. Dans ce cheminement du baptême, poussés par l’Esprit dans le désert, nous voici invités à choisir l’amour avec persévérance, car notre vie est au « Christ et le Christ est à Dieu. »[4] À chaque instant nous devons lui demander de nous ouvrir les yeux pour accueillir la lumière du Christ et répondre de notre appel baptismal en témoignant de l’amour généreux, dans la gratuité de notre être et sans s’arrêter aux actes, mais en regardant la personne dans tout ce qu’elle est. La vérité de la foi façonne la cohésion de la personne appelée à être image de Dieu. « Maintenant, dans le Seigneur, vous êtes lumière ; conduisez-vous comme des enfants de lumière. »
Père Grégoire BELLUT -Curé – Doyen
[1] Entretien avec le général Gallet in RETM 312 p 49
[2] 99 Evangelium Vitae
[3] P 53 L’Évangile de la rencontre – Philippe Mac Leod
[4] 1 Co 3,23